NUMÉRO 149 REVUE BIMESTRIELLE juin-juillet 2013

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Auteur Titre de l'article Título del artículo
 
Pioton-Cimetti, E. Graciela Dernière minute Último minuto
  Dédicace Dedicatoria
  Éditorial I Editorial I
  Éditorial II Editorial II
  Le temps qui passe
  Au sujet du temps qui passe Sobre el tiempo que pasó
 
Bernard, Hervé Le temps qui passe
 
Cohen, Rut Tenia cuatro años…
  Vivencias - los opuestos se armonizan en el tiempo
 
Delagneau, Philippe Le temps qui passe
 
Giosa, Alejandro El tiempo que pasa
 
Manrique, Carla La importancia del tiempo
 
Montvallon, Valérie de Proposition de lecture
 
SOS Psychologue Séance d'analyse de rêves de mai 2013
  Séance d'analyse de rêves de juin 2013
 
Signes, Véronique Voyage au pays de l'éternité
 
Stella, Silvia El tiempo que pasa
  La fatalidad - tiempo y premonición
  Color negro tiempo
 
Tarsitano, Alberto Matar el tiempo
 
Thomas, Claudine Le temps qui passe


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Une heure du matin, lundi 29 juillet, l'avion du pape François vient de décoller de l'aéroport de Rio de Janeiro. Une intense semaine vient de se terminer. Chaque nuit la chaîne de télévision KTO m'a permis de suivre de près les événements des journées mondiales de la jeunesse, présidées par le pape François, le pape argentin… simple, profond, bien dans sa peau, serein et d'une remarquable énergie sincère.

Avant son départ il a dirigé un message vers le peuple brésilien et à sa magnifique jeunesse, espoir du monde, vibrant d'espérance. Il a dit qu'il ressentait déjà la nostalgie de la séparation après l'expérience du partage. Sa présence à l'autre est remarquable. Ils ont répété : « François, vous ne venez pas que d'Argentine, vous venez de Galilée ! »

Je suis sociologue, pas journaliste. Le message pour moi, a été : « Allez, sans avoir peur de servir ». Il a fait tomber les barrières culturelles. Son regard accueillant est resté en nous.

Fait à Paris le 29 juillet 2013.
Le ciel est bleu, parsemé de nuages blancs qui font penser au drapeau argentin.
La mer continue de caresser la plage de Copacabana.
Maintenant elle est plus qu'une plage,
mais le théâtre d'une espérance de conversion massive.
Doctora E. Graciela Pioton-Cimetti



Ce numéro spécial de vacances est dédié aux absents.

Un souvenir d'amour pour tous ceux qui sont partis. Ils continuent de travailler dans notre équipe par la force de l'esprit. Je reconnais qu'ils sont irremplaçables.

***

Un grand merci à nos anges tutélaires. Ceux qui sont dans l'au-delà, et les autres qui ont travaillé avec nous et donné de leur présence, ont laissé une trace.

***

Enfin merci à mes enfants pour être venus dans ma vie.

Vous êtes, vous tous, dans la distance mais plus que jamais, nous sommes réunis ensemble par l'esprit.

Et je pense à ma tante qui m'avait appris une petite prière à Dieu et qui dit dans ma langue : « No me mueve mi Dios para quererte el cielo que me tienes prometido ni me nueve el infierno tan temido para dejar por eso de ofenderte ».

Le poème continue, s'enracine en nous, avec la puissance de la vérité

Doctora E. Graciela Pioton-Cimetti



Veuillez communiquer la lettre autour de vous ! Profitez des vacances pour échanger avec les autres.

Le temps des vacances est très spécial. Au-delà du plaisir du corps et de l'esprit, les choses à l'intérieur de nous sont plus proches pour se manifester.

C'est dans ce temps pendant des vacances, que nous pouvons constater nos changements et même observer ce qu'il nous faudra faire évoluer pour être plus en paix et plus en rapport avec la réalité.

Parfois c'est le temps du silence qui permet d'écouter, percevoir et ressentir, ce qui peut nous manquer dans notre vie.

Ce n'est pas par hasard que les vacances représentent une coupure avec la routine quotidienne. C'est une situation qui devrait nous permettre de faire l'effort du désir.

Les vacances nous connectent avec les êtres du passé, qui malheureusement ne sont plus tous encore présents. En regardant le sable le temps s'estompe, et il semble que c'est la même plage de notre enfance.

Je crois que Charles Aznavour a raison quand il chante que la vie est plus belle au pays du soleil.

Je propose de prendre un cahier et d'écrire ce qui arrive en vous-même, des sensations, des souvenirs.

Il y a eu un temps avec mes enfants quand ils étaient petits et avec le jasmin du pays, qui embaumait à la tombée de la nuit. Il y a eu le temps des chansons du berceau et de nos amours.

Je pense vivre en étant présente des sensations d'amour envers mes partenaires dans la vie.

Pour mon premier amour, j'avais six ans et mon petit candidat, qui avait le même âge que moi, me ramenait des fleurs de la campagne pour m'en faire cadeau, et au collège il me faisait mes devoirs pour me faire plaisir.

Le temps qui passe est une réalité, mais je ne trouve pas de différence entre les moments d'enthousiasme de ma vie d'enfance, de ma vie d'adolescente et de ma vie d'aujourd'hui. Je regarde ma carte d'identité et je me demande si le temps est en relation avec notre date de naissance ou avec notre état de conscience acquis.

Évoquer nous met en dehors du temps.

Je me souviens de mon père, qui me disait « Sais-tu que je te laisserai des souvenirs comme héritage ? » Et nous partions chaque année pour connaître des pays différents, c'était une découverte et il m'a bien laissé des souvenirs. Je peux donner la date de chacun des longs voyages de notre vie.

Et je m'étonne de constater que se sont passées 23 ans depuis la dernière fois où nous étions ensemble en Afrique du Sud.

Et, par ailleurs, les souvenirs se relient dans le non temps. Quelle différence entre les vacances sur la plage de l'Atlantique sud ou du Pacifique ?

Les vacances sont sans doute des moments en dehors du temps qui nous permettent de faire au moins un bilan, parfois nostalgique, de notre vie toute entière.

Doctora E. Graciela Pioton-Cimetti



Je t'avais promis d'écrire un éditorial en exclusivité en espagnol quand j'aurais à parler du temps et je l'ai fait, pour que tu sois sûr que je ne t'ai pas oublié.

Le temps a passé, celui d'avoir les enfants dans nos bras. Peut-être liront-ils aujourd'hui, en étant adultes mes réflexions avec toi et s'ils le font, ils pourront comprendre.

Voici pas à pas :

  • Nous étions trop jeunes pour penser que les temps pouvaient passer.
  • Nous étions trop amoureux pour nous occuper du temps.
  • Nous avons vécus au présent depuis l'instant où nous avons découvert que l'amour est plus fort que le temps.

Hier soir j'ai rêvé de toi et j'étais étonnée de comprendre que nous avons vécu tous les deux dans un temps absolu.

Je t'aimais, je t'aime, je t'aimerai… au-delà de l'éphémérité de la vie.

Tu m'as aimé, tu m'aimes, tu m'aimeras au-delà de tes tentatives de m'enfermer avec toi dans un délire pour nous sauver de la mort.

Nous nous verrons autrement : sans âge, en dehors du temps, et sans limitations physiques.

Nos enfants ont grandi et nous oublient. Ils sont en train de vivre leurs temps propres, en les déclinant selon leurs désirs.

Je te propose d'accepter que nous sommes mortels mais éternels. Il s'agit de la position de Spinoza et la mienne aussi.

Il nous reste encore beaucoup de choses à découvrir… Peut-être pourrons-nous trouver le sens du temps au-delà de notre temps d'amoureux éternels.

Doctora E. Graciela Pioton-Cimetti



Il nous faut examiner comment le sentiment de la durée se structure déjà dans la distinction des trois moments du temps.

Qu'est-ce d'abord que le présent ?

Au sens strict du terme, ce serait l'instant ponctuel, mais un tel point de durée est insaisissable : il n'est que la limite idéale entre le passé et le futur immédiat. Au moment même où nous cherchons à l'appréhender, un tel présent est déjà devenu du passé :

Et l'instant où je parle est déjà loin de moi, disait Boileau.

Le présent est également lié à l'agir. C'est cette idée que reprend Bergson lorsqu'il écrit : « Ce que j'appelle mon présent, c'est mon attitude vis-à-vis de l'avenir immédiat, c'est mon action imminente. » Le présent apparaît ainsi avec un caractère d'insertion dans le réel.

Dans le passé, il y a lieu de distinguer le passé récent, qui est du présent évanescent : c'est celui dont le récit a encore un caractère affectif, qui détermine sinon des actes consommés, tout au moins des tentatives d'actes avortés, des déceptions et des regrets et la passé lointain qui est la passé proprement dit. C'est un réel durci sur lequel nous ne pouvons plus rien. La seule action qu'il puisse susciter de notre part c'est celle du récit. Le passé très lointain ne provoque plus guère en nous de réaction : nous nous en désintéressons ; c'est du passé mort.

Quant à l'avenir ou au futur, il y a lieu d'y distinguer aussi le futur immédiat qui n'est guère que le prolongement de l'action ou du désir présent et le futur lointain.

***

Le temps est homogène, abstrait, quantitatif et mesurable : c'est un cadre vide, un ordre, un système de rapports. La durée est hétérogène et qualitative. Elle ne peut se mesurer.

***

Le temps semble notre grand ennemi : les poètes ont souvent exprimé la mélancolie de l'homme devant la fuite du temps qui emporte ce qu'il a de plus cher. Toute notre vie est une lutte contre le temps, qu'il s'agisse soit de faire revivre un passé à tout jamais disparu, soit d'anticiper sur un avenir qu'appelle notre impatience et qui nous déçoit lorsqu'il se fait présent.

Aussi les philosophes se sont-ils efforcés de donner au temps un sens.

Dans l'Antiquité, Platon, fasciné par la hantise des Idées éternelles ne voit dans le temps que « l'image mobile de l'éternité ». Aristote se borne à le définir comme « l'aspect par où le mouvement comporte nombre ». Plotin reprend le point de vue platonicien : le temps marque une déchéance de l'être. Mais saint Augustin, tout en s'inspirant aussi de Platon pense que c'est dans le temps que chaque individu doit faire son salut.

Chez Kant, le temps n'est qu'une faiblesse de l'esprit humain qui l'empêche d'avoir accès à l'absolu et à l'éternel. Hegel, au contraire, présente une conception dialectique, etc.

***

À travers ces diversités d'interprétation. On retrouve une direction commune.

Les anciens prétendaient nous libérer du temps par l'exercice de la pensée. Pour les modernes, le réel est une histoire fondée sur des actes de liberté ; la personnalité se forme peu à peu dans le temps…

Fait à Paris, le 30 mai 2013
Il pleut sans cesse.
Il s'agit d'un déluge ou de mes larmes non versées,
mais vivantes en moi en contemplant le temps qui passe
et qui submerge dans l'oubli les beaux moments de ma vie.
Avec nostalgie et la pluie continue…
Doctora E. Graciela Pioton-Cimetti



1955

L'année 1955 commença par la guerre du Vietnam ; et en Union Soviétique Malenkov démissionna pour être remplacé par Boulganine et Khrouchtchev. Ce fut l'année des démissions, parce que Churchill le fit aussi. Il fut remplacé par Eden. En Argentine, la situation se dégrada. Perón abrogea l'enseignement religieux aux écoles et sépara l'Église et l'État. Sa démission le 30 août ne fut qu'un coup de théâtre.

La nuit du 15 septembre, le rosier avait trois boutons. Vers 7 heures il commença à pleuvoir. Très tard le soir, elle sauta du lit en criant : « María est morte. » María venait, effectivement, de mourir suite à une hémorragie que lui avait occasionnée une varice.

Le 16 septembre, Santiago partit comme d'habitude, mais ne revint pas. La révolution libératrice de Córdoba avait éclaté. Au quartier Matienzo, la plupart des maisons étaient habitées par des officiers et sous-officiers de l'aéronautique, mais seuls trois marins étudiaient avec Santiago à l'École supérieure aéronautique. Les informations à la radio semblaient montrer que la lutte était perdue. Le quartier d'officiers fut évacué et seulement trois maisons restèrent habitées : sa maison à elle, celle de Aidart Paz et celle de Arévalo. Emilce se sentait mal, car c'était le début de sa grossesse et la femme de Aidart Paz avait deux enfants en bas âge. Elles se rassemblèrent dans sa maison. En face, habitait un ingénieur de l'IAME1. Le soir du 20 septembre il vint leur dire qu'il partait aussi et qu'elles devraient faire de même, parce que leur voisin péroniste possédait tout un arsenal et était prêt à les tuer. Il leur dit aussi qu'il n'était pas convenable d'éclairer la maison ou qu'elles fassent du feu dans la cheminée, parce qu'il était très probable qu'on y mettrait du kérosène pour incendier la maison et les obliger à sortir.

Le quartier resta vide, habité uniquement par elles. Vers 7 heures du soir les coups de feu commencèrent. Elles mirent les matelas contre les fenêtres, préparèrent des biberons sur une plaque électrique, mais la situation devenait désespérante, parce que les enfants étaient trop petits et pleuraient. Vers 11 heures du soir, en sortant par la porte de la cuisine, à vélo à travers champ, elle arriva jusqu'au ruisseau où avait lieu la confrontation à coups de canon entre loyalistes et révolutionnaires. Elle réussit à parler avec l'aumônier et lui raconta qu'elles étaient encerclées et sans défense. Il dit qu'il allait envoyer une patrouille immédiatement.

En arrivant chez elle, les enfants dormaient par terre dans la cuisine. Toutes les vitres de la partie frontale de la maison avaient été cassées par les coups de feu. Elle seule pouvait avoir toute sa tête et elle le savait. La patrouille arriva vers 5 heures du matin. Il ne s'agissait pas d'un seul ennemi, mais de plusieurs qui cantonnaient dans cette maison. La lutte prit fin vers 9 heures du matin, avec la mort de leur chef. Le reste se rendit sans opposer une quelconque résistance. À l'intérieur de cette maison on trouva les plans de la stratégie à suivre pour tuer tous les officiers du quartier Matienzo et leurs familles. Elle s'étonna quand elle sut que l'un des dirigeants était le mari de cette charmante femme, qui lui avait permis de prélever son électricité et lui apprit à faire des milanesas2.

Le 21 septembre, la révolution semblait avoir échoué. Un député péroniste, Berizo Rocha, fit entrer un camion avec du lait empoisonné à l'usine militaire d'aviation. Le premier à boire le lait fut le chien du détachement et il mourut tout de suite. Entre-temps, le général Videla Balaguer avançait vers Córdoba ; au centre ville, la lutte y était difficile et acharnée. À la fin de la journée, rien n'était clair. Depuis la partie arrière de la maison, elles voyaient survoler les Abro-Lincoln semant des bombes sur la piste de l'École aéronautique, où se trouvaient leurs maris.

Videla Balaguer arriva dans la capitale cordobaise. Les régiments loyaux furent bombardés depuis le ciel, et dans un silence plein d'onction, la révolution libératrice triompha à Córdoba. Le général rendit les honneurs dans la cathédrale dédiée à la Vierge, en récitant publiquement son chapelet, tandis que la population suivait la prière, avec dévotion.

À Buenos Aires se passèrent aussi beaucoup de choses. Déjà au mois de juin, la Marine avait bombardé la côte, intimidant Perón pour qu'il démissionne. Les coups de canon étaient adressés à la Casa Rosada. L'amiral Rojas et le général Aramburu furent sans doute les héros de cette révolution libératrice qui, bien qu'elle mît fin à la dictature, ne pourrait pas effacer les séquelles historiques, sociales, politiques et économiques qu'elle entraîna. Les militaires empêchèrent la profanation de la momie d'Eva Perón en l'envoyant dans un couvent en Italie. Ce n'est qu'en 1973, lors du retour au pouvoir de Perón après les élections du 23 septembre, que sa dépouille revint au pays.

Afin de protéger sa vie, Perón fut embarqué dans la canonnière Paraná. Il alla au Paraguay avant d'aller à La Puerta de Hierro, où sa vie s'écoulerait avec faste et générosité, en recevant la sympathie du peuple espagnol au côté de sa nouvelle femme, la « petite Isabel ». Elle recevrait plus tard le nom de María Estela Martinez de Perón et deviendrait la présidente de la République à la mort de son mari, le 1er juillet 1974.

Le 23 septembre 1955, une fois la révolution gagnée, le général Lonardi assura la présidence, et quelques années plus tard, le 13 novembre 1970, le général Aramburu fut assassiné par la guérilla.

***

Poème pour mon fils mort

Je ne peux pas encore mourir, je n'en ai pas le temps,
et dans le non-temps notre amour ne trouve
d'autre rythme d'attente que celui de l'âme
fusionnée dans le calice d'un désir
que tu partages avec moi, dans la distance.
Tu te perpétues comme l'ombre d'un rêve
dans la quiétude muette de ma nostalgie,
et mon corps t'engendre dans une étoile
pour t'aimer de nouveau, fièvre et entrailles.
Tout petit tu riais des choses,
tu soumettais les rêves à tes forces,
tu acclamais la mer et son arrivée
et tu faisais des rêves fascinants
sur le doux lit de mon giron.
Homme fort et en tant que tel perdu.
Des rafales de vie te portèrent
d'une étoile filante à une galaxie ;
et je sus t'aimer en basculant entre le monde brutal
et celui de mon étreinte.
Tu mis à l'épreuve les livres et les hommes,
et écrivis des poèmes d'amour en mon souvenir
et les anges racontèrent tes histoires
à travers le vol ancestral des mouettes.
La mer sublime te poussa vers l'aube
le sable dessina ton corps fort.
Alfonsina nous donna des poèmes d'écume,
et je fus ta mère, ton illusion, ton accalmie
dans les convulsions brutales de l'existence.
Je ne t'écris pas pour moi, mais pour nous deux ;
personne ne doit ignorer que dans notre rencontre
tout fut si sublime, pur et frais
comme un chant à Jésus à la pointe du jour.

***

Sur Pérón, témoin oculaire

Il est très difficile de penser en espagnol lorsqu'il s'agit de sentiments. C'est comme balbutier dans la langue maternelle. Il est plus facile de le faire en français. Avec ma langue maternelle, il y a une barrière affective qui dénature les images. Ma langue maternelle me trouble ; elle devient impudique. J'ai la sensation de faire connaître un secret professionnel ! S'agit-il d'un conflit déontologique ? Je ne sais pas. En tout cas, j'ai l'habitude de garder les secrets jusqu'à douter même de ce que je dis.

Buenos Aires, août 1973. Au moment où les élections approchaient, le péronisme devait gagner, après le long exil de Perón à Puerta de Hierro, en Espagne où Franco accepta de lui donner l'asile après la révolution libératrice du 16 septembre 1955.

L'encadrement socio-politique est très important pour comprendre le sens des estamentos3 qui sont des groupes enkystés dans les différentes classes sociales. Les gens qui attendaient Perón n'étaient pas les mêmes qui le portèrent au pouvoir en 1947. Perón était un phénomène qui allait créer une nouvelle organisation sociale et idéologique.

Jeune lieutenant d'avenir, il voyagea en Italie et en Allemagne, s'imprégnant du National socialisme et de modèles qu'il importa en Argentine et dont il commença à vanter les mérites lorsqu'il fut ministre du Travail. Ce fut un phénomène bizarre : si Hitler s'appuya sur les classes moyennes en les faisant bénéficier d'avantages économiques et en renforçant leur fonction sociale, Perón s'appuya sur la classe ouvrière et créa ainsi un mouvement atypique, un mouvement ouvrier de droite, quasiment extrême.

Les bases idéologiques étaient les mêmes que celles du National socialisme européen. Si l'origine était différente, la base se reposait sur le même problème de ressentiment social. Pour ce qui est de l'Europe ce fut par le honteux pacte de Versailles dans lequel l'Allemagne perdit le bassin de la Ruhr, l'Alsace et la Lorraine. En ce qui concerne l'Argentine, il n'y avait pas de conscience politique, car seule fut connue dans l'histoire du pays l'adhésion à des caudillos charismatiques, exceptionnellement rationnels. Autrement dit, avant l'existence d'une conscience politique un ressentiment social apparut. Il s'était cristallisé, mais n'avait pas été compris et constituait purement une imitation des situations sociales européennes qui précédèrent la révolution industrielle de 1931.

La synchronicité selon Jung est la convergence dans l'espace-temps des séries causales indépendantes. Dans le cas de l'Allemagne, spoliée, vaincue, l'archétype de Wotan, le dieu de la guerre, revendicateur et justicier, avait besoin, pour une action efficace sur le plan empirique, de l'apparition d'un être capable de représenter cet archétype. Ce fut le cas d'Hitler. Il correspondait exactement aux demandes inconscientes du peuple allemand. Il se produisit entre le peuple et le leader ambitieux, charismatique et individualiste à outrance, un effet de contagion psychologique qui se multiplia géométriquement en spirale délirante jusqu'à la recherche d'un passé d'êtres mythiques parfaits, submergés dans les sagas des Nibelungen.

Pour ce qui est du cas du peuple argentin, l'abandon créa dans l'inconscient la recherche d'un père éternel, capable d'exercer une telle paternité sans instabilité, ni fissures. La présence de conservateurs et le passage par le radicalisme personnaliste avaient créé de l'angoisse, sans créer de conscience politique. Au temps du radicalisme d'Yrigoyen, les problèmes s'atténuèrent pour la classe moyenne qui pour la première fois dans l'histoire de l'Argentine se vit légitimée par un président de son parti. Mais l'importante classe ouvrière, urbaine et rurale, continuait à se demander les raisons de son abandon. D'autre part, Yrigoyen mourut en 1930, peu après avoir été renversé et une grande partie de la classe moyenne demeura « flottante4 ». Perón correspondait exactement à l'image de l'archétype : paternaliste, puissant, presque divin.

La synchronicité s'opère dans les deux cas : la présence de deux hommes qui complètent le désir et la pulsion inconsciente de deux peuples. Hitler construit des monuments fascinants qui veulent toucher le ciel. Perón monte au pouvoir face à une foule, en décrétant, simplement, que le 18 octobre serait le jour de « saint Perón ».

En Argentine, on n'avait pas vécu des situations d'opposition sociale ; car l'histoire eut lieu de telle manière qu'on présenta seulement la complicité par rapport à l'ennemi extérieur. Perón tira profit de cette situation et créa un ennemi extérieur : les États-Unis. Ceci s'exprimait dans des slogans qui le maintinrent au pouvoir jusqu'en 1955 : « Espadrilles, oui, livres, non » ou bien « Mes chers sans chemise. » C'était un élément supplémentaire de ressentiment social.

Au moment où il fut renversé en 1955, toutes les classes sociales fusionnèrent pour lui ôter le pouvoir. Il voulut créer les milices populaires, pour remplacer l'armée, à partir de la C.G.T. et du modèle des chemises noires de Mussolini. Ce ne fut pas la première fois dans l'histoire qu'un leader commença à délirer. Ce fut déjà le cas de Bolívar et de son délire du Chimborazo. Ensuite la situation devint dangereuse. Perón avait sacrifié sa femme jusqu'à la dernière minute. Alors qu'elle était dévorée par un cancer, il la fit, malgré tout, apparaître à ses côtés sur le balcon de la Casa Rosada en tant que candidate à la future vice-présidence. Elle dut porter une perruque, fabriquée spécialement, pour lui tenir la tête droite. Après la mort d'Eva, Perón tomba dans le délire.

Quand Eva Perón mourut, la confusion revint. Il était évident que c'était elle le véritable leader charismatique et non Perón. C'était la fille naturelle d'un propriétaire terrien. Artiste sans envergure, détentrice d'une ambition sans mesure et d'une beauté indéfinissable. De toute façon, si elle posséda du charisme, ce fut parce qu'elle croyait en ce qu'elle faisait.

Il n'y a pas de jugement politique dans tout ce que je dis, car je suis, eu égard à ma condition humaine, un témoin de l'histoire.

Les gens qui reçurent Perón en 1973 ne furent pas les simples ouvriers qui l'amenèrent au pouvoir, mais une jeunesse aisée, de la haute classe moyenne et de la moyenne classe moyenne, ceux de la classe basse étaient une minorité, peut-être de fidèles résiduels de l'ancien péronisme.

En regardant depuis mon balcon de l'avenue Maipú 1942, entourée de mes quatre enfants, je voyais la foule qui avançait vers la place de Mayo ; la certitude de ce que je contemplais me coupa le souffle : parmi la foule se trouvaient des jeunes habillés avec des gamulanes5. Il n'y avait pas beaucoup d'ouvriers et peu de camions. Il n'y avait que des voitures de bonne qualité, quelques-unes décapotables. Je me demande ce que les jeunes voulaient voir en lui. La question reste ouverte. Revenons-y. Que se passa-t-il pour en arriver là ?

Perón, une fois renversé, chercha à se reconstruire une histoire semblable à celle d'Eva. Il retrouva une femme absolument ignorante dans un cabaret à Panama. Il l'emmena à la Puerta de Hierro et dans son exil il commença à l'éduquer. Mais « Isabelita » ne serait jamais Eva Perón. Isabel fut une satire, une mauvaise version d'Eva. Ce fut un ange sans envergure, dont la voix d'une cadence sans importance donnait l'impression d'une petite maîtresse de village, montée sur l'estrade pour apprendre à des enfants déchaussés la différence entre le C, le S et le Z.

Dans ce contexte disparut, pour les Argentins, le sens politique critique. Il ne resta qu'une seule alternative : s'allier dans des noyaux estamentarios6 à l'intérieur de chaque classe sociale. Ce fut l'émergence d'une nouvelle situation. Ce ne fut plus le ressentiment social, mais l'irresponsabilité politique et le conflit d'une génération qui ouvrit sa porte à une cruauté systématique et à une surdité entre parents et enfants. La brèche ouverte au cœur de la famille patriarcale, la guérilla entra, avança et dénatura le mouvement péroniste qui disparut sous le nom de « justicialisme ». Mais compte tenu du manque de conscience politique, la lutte se réduisit à des luttes privées où le facteur, transcendant et idéologique n'existait pas.

Souvenir de cette année en remontant par l'avenue del Libertador à 8 heures du soir, les interminables discours d'Isabelita Perón et les embouteillages. Je prenais toujours un livre et une lampe de poche pour lire. On ne pouvait pas passer en raison du désordre de la circulation. Non, il y avait plus que du désordre. C'était la déstructuration d'une société qui n'avait pas commencé à ôter ses couches !

À cette époque, dominée par une destruction fantasmatique dans tous les sens, il nous fallait nous reconnaître en tant que groupe, car, au-delà de cela, il n'y avait rien.

Des bombes, des assassinats, des disparitions. Comment faire face à tout cela sans se détruire ? Car parfois deux ou trois bombes éclataient par nuit. Enfin, nous les forts, nous nous bouchions les oreilles pour ne pas avoir peur. Nous ne savions pas s'il fallait donner ou non à nos enfants une carte de la Marine pour se protéger, car cette protection pourrait les condamner à mort. Il n'y avait de place que pour la prière ; et « enlever » les enfants à l'école et les emmener à la campagne, c'est ce que je fis, pour ne pas les exposer davantage, et pour ne pas m'exposer davantage à la souffrance. Je me souviens maintenant de toute cette époque, ayant conscience de la peur que je ne pus ressentir alors, car il n'y avait pas de place pour la vivre. Une partie de ma vie professionnelle se développait dans le commandement en chef de la Marine. Les secteurs les plus exposés au danger étaient le premier et le neuvième étages : la direction de la Justice navale.

Mes vendredis de liberté étaient comme cela : avoir la direction de la maison jusqu'à 8 heures du matin, emmener les enfants au collège et enfin, prendre la route côtière en écoutant des cassettes de Leonardo Favio. Je ne fus jamais trop intellectuelle.

Une fois arrivée au commandement de la Justice navale, il fallait laisser la voiture et monter l'escalier du bâtiment Libertad, sachant qu'à n'importe quel moment une balle pouvait traverser mon dos. De la transpiration, du froid, présentation des documents pour rentrer dans l'édifice. À quelques mètres de mon bureau, éclata une bombe que portait sur lui un conscrit guérillero. Une autre fois, on tenta d'empoisonner l'amiral qui avait la direction de la Justice navale.

À 3 heures de l'après-midi Juncal 854 ; j'abandonnais le monde du danger pour rentrer dans le groupe d'appartenance, de fuite et de référence.

C'est là-bas où commencèrent des histoires qui me conduisirent à me poser des questions : être un étranger dans un autre pays ; Gertrudis von L… aristocrate russe était mariée à un représentant de Krupp. Ils étaient les plus forts, les plus riches jusqu'au moment où l'Argentine déclara la guerre à l'Axe à la fin du conflit. Les biens des familles allemandes impliquées dans la guerre de 1939 à 1945 furent confisqués. Gertrudis constitua, chez elle, un salon littéraire de style XVIIIe siècle, en plein Buenos Aires dont l'objectif, je crois, était de survivre d'une manière quelconque aux avatars économiques.

C'était le noyau d'un réseau de relations sociales qui mêlaient l'aristocratie européenne à l'aristocratie argentine. Ainsi, nous faisions connaissance les uns et les autres. Parmi l'aristocratie européenne, il y avait certaines grandes fortunes comme celle de Mira von Bernard.

Un troisième étage, celui de Gertrudis. La voiture dans le parking de l'église de Las Mercedes. Soudain, je me sentais jeune, jolie, élégante, intelligente et heureuse. Je rentrais chez elle. La maison sentait le parfum de la confiture de fruits mélangé à l'encens ; le piano à queue, les rouges profonds, car la couleur rouge dominait. Cette maison était devenue le point clé pour se faire connaître. Ce ne fut pas par hasard que mon cabinet fut privilégié par l'aristocratie européenne et argentine.

Néanmoins, il y avait des moments où j'avais le cœur gros, car je savais que la couleur, la musique, les différentes langues parlées aussi bien que tout ce monde culturel ne suffisaient pas à calmer l'angoisse de savoir que mes enfants existaient et que j'avais peur.

Alors tout disparaissait. Je devais revenir à la maison de toute urgence pour serrer mes enfants dans mes bras. Oui, je devais les serrer, je les serrais. Je mangeais un sandwich et me mettais à étudier en face de la télévision, lorsque les quatre jouaient à des projets secrets ou manifestes. Les trois plus petits ne savaient peut-être pas comment on pouvait souffrir et combien il était nécessaire de fuir la faiblesse pour leur offrir un modèle de force. Même maintenant, je me sens menacée par les larmes, par ces larmes qu'alors je ne pouvais pas verser. J'étais si fatiguée d'avoir à réprimer l'angoisse que je m'endormais sur la jupe de la plus petite, tandis que les trois autres jouaient à côté et se disaient : « Ne parle pas fort, maman dort… » Et maman était si petite ! Et nous étions en vie tous les cinq et je les protégeais en me laissant protéger. Aimer, c'est une éternité, c'est un instant, une coexistence très complexe des passés et des futurs : il ne faut pas penser, il faut juste laisser venir, contempler. J'aurais voulu aussi que nous nous enfermions tous dans la maison et que les enfants ne retournent plus à l'école. Avec le recul, je me vois chercher la manière de leur faire partager la sublime intimité de ma maison d'enfance.

***

Cette image ne peut pas avoir de fin. Je m'en retire correctement, car cette gloire fugace n'existe plus et, aujourd'hui, ce ne sont plus les années 1973, 1974, 1975, 1976 ; c'est simplement le 26 février 1997, et je suis dans le monde, point final.

***

Un peu plus sur Pérón

Que voulaient-ils de Perón les jeunes ? La question demeura ouverte, mais il n'y avait qu'une seule réponse : « Un père. » Le père archétypique, actif, créateur, quelqu'un les forçant à se réveiller.

Notre génération, la mienne, fut une génération dont les parents dormirent sans opportunité ni poids politique. Les nouveaux parents, nous, étaient, par conséquent, nuls pour satisfaire les désirs de transcendance et de nationalisme, car le poids politique de l'Argentine et la dictature péroniste firent que nous fûmes plus au courant de la Première guerre mondiale et des conflits de guerre de Corée et du Vietnam. Nous ne savions plus dans quelle dimension nous vivions. On nous noya dans des vins français, du thé anglais, des jeans américains et des séries étrangères télévisées.

Buenos Aires était une île, un conte de plus de la vieille Europe ; un coin plus large et oxygéné de la divine Europe. Paris, Rome, Madrid émergeaient à la tombée du jour sur l'avenue Quintana, sur l'avenue del Libertador. Avec les petits enfants dormant à la maison, nous restions jusqu'à l'aube dans les cafés élégants du quartier nord. Nous fûmes la génération de la Dolce Vita de Fellini, de Hiroshima mon amour d'Alain Renais et de Il y a un an à Marienbad.

Nous fûmes des parents qui créèrent le silence et effacèrent l'identité nationale, car nous ne l'avions jamais connue nous-mêmes. Perón répondait à ce besoin d'identification projective et on voulut l'imposer. Au-delà de tout cela, il était l'archétype de la révolution et donnait la mort aux modèles insuffisants que vivait chaque jeune dans son foyer.

Mais Perón mourut bêtement. À vrai dire, les morts sont, parfois, bêtes lorsqu'elles ont lieu dans le cadre d'une période vitale, héroïque et sans scrupules comme celle qui était la sienne. Perón alla un jour du mois de mai rendre visite à des bateaux de l'armée argentine. Il avait presque quatre-vingts ans et prit froid. Il perdit en quelques jours les réserves d'amour et de haine qui lui avaient permis d'être considéré comme une « force de la nature » et mourut le 1er juillet.

Après avoir harangué les jeunes pour créer une force, enfin unifiée et sans dissidence, il les laissait brutalement abandonnés, divisés et orphelins. Plus confus que jamais, ils ne purent que s'identifier au mythe, sans pouvoir parvenir à se différencier et à acquérir une identité. Ainsi, le chaos arriva ; le chaos romantique : « Donner la vie pour… pour qui ? Pour quoi faire ? Avec quel sens ? »

Les générations se séparèrent à mort. Les chemins bifurquèrent. Qu'est-ce que les jeunes voulaient de Perón ? Un père, enfin, tout puissant qui leur parla comme on peut parler aux adultes. Et ils n'obtinrent qu'un père mort ; ils se sont donc réfugiés dans une nouvelle situation d'orphelins, moins tragique que celle de leur foyer d'origine, parce qu'il y avait beaucoup de frères et de drapeaux pour les identifier en tant que groupe.

À Tucumán les guérilleros gagnèrent du territoire et voulurent le revendiquer comme territoire indépendant et le voir reconnu par les grandes puissances. Recherche évidente d'un autre père. Tout se frustra. L'inimitié entre les générations ne finit pas, mais le chloroforme des convenances et la commodité apaisèrent les esprits. Peut-être que les choses auraient pu s'arranger avec de bons analystes.


1  IAME : (Industria aeronaútica militar del Estado) Industrie militaire aéronautique de l'État. Nom donné à l'époque de Perón (1947-1955).
2  Escalopes panées.
3  Estamentos : se dit d'un groupe, à l'intérieur d'une classe sociale, partageant des intérêts communs (profession, richesse, mariage endogamique, etc.).
4  C'est le sociologue Ralph Darendörf qui appelle « classe flottante » celle qui va et vient entre la classe moyenne et la basse classe.
5  Gamulán (au pluriel : gamulanes) : signifie manteau de mouton renversé.
6  Adjectif du substantif estamento.
Doctora E. Graciela Pioton-Cimetti



Ce thème soulève en moi irrémédiablement un sentiment d'inquiétude, voire de peur, comme si j'avais le sentiment d'avoir laissé passer le temps sans suffisamment agir et qu'il me restait encore de nombreuses tâches à accomplir et, probablement, sans tarder.

Mais pourquoi n'avoir pas réagi plus tôt ? Serait-ce ce sentiment profond d'éternité et d'union avec l'infini de l'espace et du temps ?

D'un côté ce sentiment d'éternité est parfois inquiétant, car il semble me renvoyer à une sorte de néant, peut-être celui de l'inaction, mais il est aussi rassurant et vivifiant, car il procure un sentiment de plénitude accompagné d'une sensation de sérénité. C'est souvent à ce sentiment que je me relie, quand je suis déprimé, fatigué, déçu, en colère, c'est-à-dire soumis aux différents sentiments négatifs, justifiés ou fantasmés, bien en synchronisation avec le réel, comme si par ce jeu de l'esprit je tentais, en général avec succès, de me décoller de complexes subjectifs négatifs auxquels je m'étais identifié.

J'essaie de faire le vide en moi-même et de me sentir calme et satisfait dans le « ici et maintenant », m'accrochant à différentes images positives, en général toujours les mêmes, un peu comme avec des archétypes personnels, qui peuvent alors être le moteur et le point de départ d'une construction fantasmatique, qui m'emporte loin de cette réalité psychologique devenue alors trop lourde.

Certains rétorqueraient qu'il s'agit d'une fuite. Sans doute, si le sujet ne revenait pas ultérieurement à ce qui motivait ses sentiments négatifs. S'éloigner d'un problème qui vous brûle devient salutaire et ouvre la possibilité d'être mieux disposé à se confronter aux sentiments négatifs, à les analyser, comprendre ce qui en est l'essence et tenter de résoudre le problème à la source. En effet, il n'en reste pas moins qu'à un moment ou à un autre, il faut passer du fantasme à l'action et que le temps devient l'observateur suprême et implacable de notre capacité à faire quelque chose de notre vie, à réaliser nos projets de vie. Le temps qui passe devient alors une ressource pure à la disposition du sujet pour affronter les difficultés auxquelles il doit faire face, qui, combinées à la force de l'esprit et du travail, permet d'avancer sur le chemin de la réalisation personnelle et de l'ouverture de la conscience.

Mais le temps qui passe n'est pas un trésor que l'on peut stocker, voire thésauriser comme chez l'oisif, c'est une énergie disponible qui s'épuise si on ne l'utilise pas vers un objectif utile, de manière construite et dans un délai raisonnable. Le temps est une énergie vivante, une tension comme la vie, qui nécessite une respiration, un mouvement de va-et-vient entre la réflexion et l'action.

Si elle n'est pas utilisée correctement, survient peu à peu, ou parfois brutalement, un sentiment d'insatisfaction, qui, en laissant venir l'inconscient, semble dire « quelle tâche n'ai-je pas faite maintenant, ce soir, que j'aurais dû faire ? ».

Hervé Bernard



J'ai souvent entendu évoquer ce thème à travers les propos anodins du quotidien.

Vivement ce soir, vivement ce week-end, demain c'est samedi, vivement les vacances.

J'entends une souffrance, je sens le vide d'un temps qui ne peut être vécu, j'entends la mort.

Ces paroles apparemment anodines ont toujours eu sur moi l'effet d'un choc, me renvoyant à mon propre vide d'un temps disparu à jamais et non vécu.

Le temps est comme la toile vierge d'un tableau délimité par un cadre. Pourquoi faire le temps ? Pourquoi faire la vie, pour en faire quoi ? Et s'il m'était proposé de dessiner ou d'écrire une histoire pendant le temps qu'il m'est donné ?

Mais alors se pourrait il que la vie ait un sens, que le temps ait un sens ?

Et si c'était vrai. Et si à la fin de ma vie je réalisais que la vie avait un sens qu'il m'était proposé de découvrir, dans un temps conditionné aussi par ce que je vis.

Et si meubler le temps, courir après un temps qui n'existe pas, mais que l'on imagine enchanteur me conduisait finalement à une prise de conscience, à un questionnement tardif à l'aube de mon départ. Quelle situation horrible !

Et j'en parle, car il m'a semblé percevoir chez les personnes plus âgées l'émergence d'un questionnement sans réponse, l'émergence d'un doute qui surgit des profondeurs de l'être, d'un doute qui ne laisse plus en paix.

Et si c'était vrai, si la vie avait vraiment un sens. Je n'espère même pas à mon pire ennemi s'il en existe de se trouver dans cette situation.

Je préfère aller y voir de plus près maintenant et sérieusement. Faire de moi et pour moi, l'allié du temps. Que je puisse au moins me dire : j'aurai essayé. J'aurai essayé de me faire ma propre opinion.

Depuis ma scolarité on a voulu m'inculquer que la meilleure façon d'occuper son temps était d'envisager une belle situation avec les honneurs et la richesse. Cette peinture m'a été décrite comme l'idéal du bonheur d'autant plus que force est de constater qu'il n'est pas accordé à tout le monde.

Je ne suis pas hostile à cette conception. Je ne suis pas opposé à la beauté matérielle, au confort, mais je sens en moi une présence qui désire s'affirmer autrement. Et aujourd'hui, je ne peux plus ne plus entendre ces messages qui viennent d'un autre temps.

Une partie en moi m'alerte et me demande d'avoir pitié d'elle. Elle me demande d'être, me demande d'être sincère avec moi-même afin d'éprouver ces valeurs et déterminer à la lumière d'une nouvelle conscience si elles sont objectivement correctes.

Philippe, observe autour de toi ceux qui ont occupé leur temps à amasser du pouvoir et de l'argent. Te semble t'il équilibré, leur accorderais-tu ta confiance, sur quoi repose leur fortune, leurs pouvoirs, leurs médailles, leurs statuts ?

Ils ne se sont pas montrés hostiles à ces valeurs, ils les ont portées, ou en sont-ils maintenant ? Maintenant à l'apogée de leur vie, que ressentent-ils ?

Ressentent-ils encore quelque chose ?

Et moi ! Qu'est ce que je ressens ? Une conviction, un sentiment que le vrai bonheur, cette joie que j'éprouve dépend d'une énergie inhabituelle qui participe à mon humanité.

Je viens au monde vierge, vierge à cette vie, je viens d'un autre temps à la rencontre d'un temps manifesté par la présence de l'homme et sa création.

Je veux retrouver un temps, je peux retrouver un temps où tout reste à construire. Cette qualité d'énergie qui m'alimente, m'interdit de croire à un monde futile, sans but, sans conscience ; un monde juste nécessaire à l'homme. Je ne peux pas croire que la vie se résume à un temps qui passe sans ma présence consciente, qu'elle se résume à être inutile humainement, utile égoïstement.

Je veux retrouver ces valeurs qui font que l'homme puisse espérer se tenir debout près de son créateur.

Fait à Chessy le 01 07 2013
Philippe Delagneau



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Véronique Signes



Le temps est devenu un véritable fardeau pour l'homme, de plus en plus pesant. Mais vers quoi court-il ? S'est-il seulement posé la question ? Où cela le mène si ce n'est vers sa propre destruction. Quel sens donner à sa vie ?

Est-ce que nous prenons le temps de nous poser ces questions, de nous interpeller, est-ce que cela nous intéresse seulement ?

Pendant que nous courons nous oublions, oui, nous nous oublions nous-mêmes, nous devenons ni plus ni moins des machines obéissantes bien endormies et la vie s'écoule sans même que nous nous en rendions compte. La vie s'écoule sans nous, nous ne vivons pas et ainsi nous allons vers notre propre destruction. Nous pouvons le constater aujourd'hui.

Notre quotidien est souvent rythmé sur la cadence de la productivité et nous menons une existence toute programmée, aux gestes répétitifs. De ce fait, le présent nous échappe à tout instant.

Nous ne cessons de nous plaindre de manquer de temps. D'ailleurs la gestion du temps s'est placée aux premiers rangs des préoccupations de nos sociétés occidentales. Nous avons acquis des méthodes et des outils pour sauver des heures sans vraiment savoir comment suspendre le temps dans sa course et profiter de l'instant présent. Il faut en faire plus en toujours moins de temps et nombreux sont ceux qui passent à la vitesse supérieure. Mais dans leur vie accélérée, certains passent le plus clair de leur temps à côté des choses essentielles.

Je pense que chacun pourrait faire l'examen de son rapport au temps, cela fait partie des étapes primordiales pour prendre conscience de sa manière de vivre et de chercher à évoluer, car savoir profiter de l'instant présent c'est l'art d'habiter l'instant, écouter le silence en nous, entendre les bruits environnants. Regarder et s'émerveiller. Sentir et ressentir en étant présent à soi, disponible aux autres, réceptif au monde.

Prendre le temps de se poser, pas toujours facile d'interrompre la course du temps quand nous devons répondre au cours d'une seule journée à une multitude d'exigences professionnelles ou familiales. Prendre un temps d'arrêt, faire un stop, pour réfléchir à la façon d'occuper notre existence et au sens de celle-ci.

Fait à Chessy, le 26 Juin 2013
Apprenons à profiter de chaque instant,
à en extraire ce qui compte le plus,
ce qui a le plus de valeur et dégustons la vie en souriant.
Claudine Thomas