NUMÉRO 193 REVUE BIMESTRIELLE janvier 2023…mars 2023

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Auteur Titre de l'article Título del artículo
 
Pioton-Cimetti, E. Graciela Éditorial Editorial
  La charité  La caridad
 
Bernard, Hervé Charité et solidarité
 
Baleani, Eduardo Caridad y solidaridad
 
Giosa, Alejandro Caridad y solidaridad
 
Laborde, Juan Carlos Solidaridad… Compasión…
 
Lara, Yolanda Caridad y solidaridad en la educación
 
Manrique, Carla Caridad y solidaridad…
 
Recherche/Investigation Groupe de travail
 
SOS Psychologue Séance d'analyse de rêves de mars 2022


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À défaut d'éditorial, notre présidente, Graciela Pioton-Cimetti de Maleville, qui nous a quittés; le 31 janvier 2023, nous propose ce thème, cher à son cœur et à son message spirituel, qu'elle avait choisi début 2022.
SOS Psychologue



La charité : une opportunité inattendue de la vie ou l'exemple d'un médecin argentin
(Graciela nous témoigne d'un exemple de charité dans son pays natal, dans un extrait de son ouvrage « Nicanor » où elle mêle autobiographie et histoire)

ANNÉE 1963

Cette année-là, l'ONU examina l'affaire concernant la souveraineté argentine sur les îles Malouines. Alejandro savait déjà tout comme ses ancêtres dans leur temps que les « Malouines étaient argentines ». Mais quelqu'un avait-il eu une vision claire des Malouines ? Les Anglais pouvaient seulement exiger ces îles méconnues comme scène idéale de la dramaturgie shakespearienne. Il n'y avait pas d'autres raisons, parce que, en l'année 1964, elles n'étaient même pas importantes sur le plan stratégique. La guerre tiède ou froide se jouait plutôt autour du noyau géographique constitué par Cuba en Amérique centrale et par la Russie et les États-Unis au niveau mondial.

Le coup de pinceau européen fut le voyage de Charles de Gaulle en Argentine. Buenos Aires était commotionnée. C'était une réaction normale si l'on tient compte de sa tradition culturelle française et de certains de ses écrivains qui avaient écrit d'abord en français, puis en castillan. Sa présence faisait résonner les œuvres d'Honoré de Balzac, Émile Zola, Victor Hugo et les romantiques qui, dans leur ennui et « en bâillant leur vie », faisaient souffrir le cœur fougueux des intellectuelles argentines, tout comme ceux des sottes filles bourgeoises qui auraient chauffé leur lit pour les faire dormir d'une bonne fatigue plutôt que de les voir « bâiller leur vie », comme disait Chateaubriand.

Le trajet du général, le ciel bleu éclatant de Buenos Aires _ bleu insolent qui ne put qu'inspirer les couleurs du drapeau argentin _ et ces nuages identiques aux flocons ou à la barbe à papa que mangent les enfants. Majestueuse Buenos Aires…incroyablement semblable à la ville Lumière. Jardins de Palermo, voitures sportives, très jolies femmes excessivement soignées et les rives du fleuve. Vers le nord, des plantes aquatiques sauvages enfoncées dans l'eau avec de somptueux jardins anglais qui embrassent de belles maisons dont le plus remarquable n'est pas l'abondance, mais l'élégance. Et c'est ainsi que se déroula la visite de de Gaulle, qui avait plus envie de s'arrêter pour admirer le paysage que d'avoir des entretiens politiques.

De Gaulle est aimé en Argentine, parce que c'est un homme de famille, et cela compte beaucoup dans le vieux Buenos Aires à l'odeur de cierges et aux rumeurs crépusculaires des grains de chapelets, qui glissent des doigts des âmes saines et pieuses. Mystérieuse Buenos Aires ! Adolescente paresseuse qui garde l'innocence en recherchant encore à être violée. Ne t'échappe pas des bonnes coutumes ; ne divorce pas ; n'aie pas plus d'amants que peut supporter ton directeur de conscience. Mystérieuse Buenos Aires ! Ta sensualité colle à la peau et, sous un ombú, les baisers ont le goût du ciel ouvert à des enfants conçus sans péché. Mystérieuse Buenos Aires ! Chant, luxure, mort, vie et plus de chant et plus de luxure et plus de confessions. Et le soleil qui ne se cache même pas en hiver. Il y a des jeux de lumières dans les yeux, et une odeur à manège et des fourmis et plus de baisers et des jacarandas.

Comment comprendre, en étant tout jeune à Buenos Aires, que Sartre puisse refuser le prix Nobel de littérature ? Ce n'est pas que la culture soit un vernis à Buenos Aires ; non, tout au contraire, mais ces choses concernant les idéologies se jouent plutôt au niveau du commentaire et de la prise de position que de la déchirure ou de la blessure. Ce fut effectivement un fait en accord avec la réalité que celui du prix Nobel de la paix reçu par Martin Luther King. Son nom a des résonances qui collent comme son regard.

Elle passa cette année avec joie jusqu'au 8 mai, lorsqu'Agustín commença à avoir beaucoup de fièvre et des infections dans les oreilles. La paix avait pris fin d'un coup de hache. C'est alors que commença le pèlerinage de tous les jours. Oui, de tous les jours ! À la recherche d'un médecin qui pourrait le guérir, parce que l'infection fut déclarée seulement six mois après sa naissance. Le BCG qu'il avait reçu à la naissance, comme beaucoup d'autres enfants cette année-là, n'était pas encore au point.

Elle ne le sut que lorsque commença le pèlerinage à la recherche d'un médecin quand l'infection devint évidente. Plusieurs enfants en étaient morts. Elle ne le savait pas. Elle se demanda si l'enfant pourrait mourir, si cette peur nocturne ressentie depuis l'accouchement n'avait pas été un pressentiment. Le chauffeur de taxi, qui venait la chercher tous les jours pour son pèlerinage sans résultat, lui dit qu'au pont Saavedra se trouvait un spécialiste qu'on appelait le médecin des pauvres, puisqu'il recevait des patients pour presque rien. Un jour, ce médecin était allé à la chasse avec sa femme et sa fille, qui avait à peine quarante-cinq jours de vie et une balle s'échappa, malencontreusement, de son fusil qui traversa le foie du bébé. C'est alors qu'il promit de se consacrer, charitablement, à guérir des malades si sa fille était sauvée et elle fut sauvée.

Agustín avait abandonné sa tête sur l'épaule gauche de sa mère ; la petite tête couverte par un bonnet de laine bleue. Il était très faible et abattu en raison des fièvres élevées. Le cabinet se trouvait au premier étage, après un long escalier qui lui sembla celui du Calvaire. Non seulement la salle d'attente était remplie de monde, mais aussi l'escalier. À la dernière marche ils restèrent ainsi, enlacés, aussi épuisés l'un que l'autre. Elle craignait que son enfant devienne idiot à cause des fièvres. Ils semblaient être à bout de forces ; mais ce n'était pas vrai, parce que dans chaque mère sommeille un titan et elle était bien capable d'affronter le démon sans autre arme que le regard de l'autorité en tant que mère.

Quand, finalement, la porte du cabinet s'ouvrit, la foi les enveloppa aussitôt. Le médecin était petit et mince. Avec un regard plus sympathique qu'intelligent, il démontra avoir compris que c'était l'enfant qu'il devait guérir. Agustín n'avait même pas la force de pleurer quand le médecin lui pressa les adénoïdes et nettoya les petites oreilles. Les fièvres lui avaient révulsé les yeux.

Ce soir-là l'enfant ne pleura pas et n'eut presque pas de fièvre. Ils allèrent chez le médecin pendant des mois. Le soir de Noël à Maipú, ils prirent une photo de famille. Agustín était entre les bras de sa mère. Quand on développa la photo elle vit que les yeux de son enfant étaient atteints de strabisme, mais qu'il était vivant. Pendant qu'elle l'allaitait elle crut voir clairement que de petits anges gardiens s'étaient mis à pratiquer dans le moïse de l'enfant un petit jeu appelé : « En dépeçant les petits diables. »

Doctora E. Graciela Pioton-Cimetti



À un moment où notre présidente vient de nous quitter, presque discrètement, sans bruit, comme pour ne pas nous perturber, le thème de la prochaine lettre, qu'elle avait choisi au début de l'année 2022, sonne pour moi comme une évidence : la volonté de nous délivrer un message sur un aspect de son enseignement. Je souhaite aussi le préciser, car c'était son mode de communication : j'entends par enseignement non pas un savoir transmis formellement d'un maître à ses élèves, mais un message délivré à travers sa parole et son action à tous les proches qui l'ont croisé, récemment ou il y a plus longtemps, régulièrement ou non, et qu'il convient, à ceux qui veulent bien l'entendre, de savoir l'écouter comme tel, de le reconnaître, de le décrypter, de l'adapter son cheminement de vie et de l'intégrer en soi.

Je pense que la solidarité et la charité faisaient partie de son action auprès des autres, autant dans son approche du monde et des autres, que dans son message thérapeutique, comme constituant de son travail d'analyste avec ses patients, mais qu'elle prolongeait aussi dans les relations qu'elle développait avec tous ses proches en général, bien au-delà des séances d'analyse.

La charité peut prendre deux sens, qui se complètent et convergent :

· exprimer de l'amour vers son Dieu et vers son prochain, comme selon la religion chrétienne, mais aussi selon d'autres religions et des philosophies humanistes,

· un bienfait envers les pauvres, plus largement donner à ceux qui en ont besoin,

Dans les deux cas, il s'agit de se mettre au service des autres, entre un plan matériel et un plan plus psychologique.

Peut-on réellement vivre en bonne entente avec ses proches sans charité ? Dit autrement, la charité est-elle un préalable à toute vie sociale réussie ?

Si les relations professionnelles ou celles nécessaires à toute vie sociale, autres que les proches, comme la famille, les amis, les connaissances, peuvent s'appuyer sur la politesse et le respect de l'autre, qu'en est-il des relations que nous sommes amenés à développer avec tous ceux qui nous accompagnent durant tout ou partie de notre vie ? Tout projet de vie peut-il être pensé, élaboré, construit, réalisé et réussi, sans relation avec les autres, à moins de vouloir vivre comme un ermite ?

Quand j'hésite à répondre sur une thématique philosophique ou à visée psychologique ou humaniste, je me tourne souvent vers les animaux. L'exemple le plus facile à appréhender est représenté par les animaux domestiques ou de compagnie, plus largement non sauvages, en particulier les chiens et les chats. Nous savons tous qu'une de leur caractéristique est de donner leur amour à leurs maîtres sans compter, sans limitation pour peu qu'ils les traitent avec un minimum de respect dans leurs besoins et leurs conditions de vie. Tout animal est sensible aux intentions qu'on lui porte, bienveillantes ou malveillantes.

Même si certains peuvent considérer que les animaux donnent leur amour à leurs maîtres pour avoir leur nourriture. L'expérience d'un maître avec son animal de compagnie témoigne que l'amour de l'animal pour son maître va bien au delà, avec la capacité de lui apporter énergie et réconfort quand le maître est soucieux, malade ou fatigué. C'est la notion de psychopompe qu'invoquait souvent Graciela : l'énergie qu'un animal est capable de donner instinctivement à un humain qui en a besoin, voire de mettre en danger sa vie pour le sauver.

Pour un animal sauvage, tenter de déceler de la charité est probablement plus difficile, dans la mesure où par exemple les animaux carnivores en tuent d'autres pour se nourrir. Pourtant, dans la grande majorité des cas, un animal sauvage carnivore ne va pas en tuer un autre pour le plaisir, comme pour respecter la faune, il le fait uniquement pour survivre. Cette caractéristique des animaux sauvages pourrait alors être vue comme une charité envers la biodiversité, comme une règle de vie du monde animal, voire du monde du vivant.

Qu'en est-il pour l'homme, cet animal qui s'est différencié, développé sur des millions d'années ?

La charité commence par l'estime de soi. L'homme ne peut pas se développer harmonieusement s'il n'est pas capable de ressentir de l'amour envers lui-même, j'entends par lui-même, les racines de son être, ses besoins, les pulsions qui l'animent au plus profond de lui, les problématiques qu'il doit traiter pour trouver un équilibre et surtout pour atteindre les objectifs qu'il essaie de se fixer et de réaliser ses projets de vie.

Un homme peut-il réussir sa vie sans être charitable ? Je laisse à chacun répondre selon son expérience, sans affirmer que c'est une condition indispensable pour devenir un honnête homme.

Tous les échanges entre individus, aux plans économique, contractuel, sentimental, relatifs à la communication, sont les fondements de toute vie sociale. Pour maintenir et entretenir le lien social, il est nécessaire de développer une certaine dose de charité, sans quoi les tensions, les conflits, les difficultés sociales et politiques finissent par dégénérer en violence, voire en conflits armés, en fonction du contexte sociétal.

À la base, la charité c'est donner sans demander en retour une contre partie. Je sens le besoin de suivre ce chemin d'aider les autres, car Graciela m'a conforté dans cette voie qui résonne en moi depuis longtemps.

Il n'est pas possible de donner aux autres sans implication de soi-même, sans ressentir et exprimer de l'amour envers les autres quels qu'ils soient, quels que puissent être leurs côtés sombres. Pourtant l'amour m'a toujours fait peur, car c'est exprimer des sentiments et se lier aux autres, au risque de souffrir soi-même. Néanmoins tout le monde a besoin d'aide, d'une aide de l'autre.

Mais il est possible d'aider modestement l'autre à trouver son chemin, et cela demande expérience et patience, je dirais aussi passion.

Hervé Bernard



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RECHERCHE/INVESTIGATION



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