NUMÉRO 194 | REVUE TRIMESTRIELLE | juin 2023 - octobre 2023 |
Auteur | Titre de l'article | Título del artículo |
Pioton-Cimetti, E. Graciela | Biographie | Biografia |
Bernard, Hervé | Graciela, mon maitre spirituel | |
Baleani, Eduardo | Una parte del camino | |
Bosco, Daniel | Témoignage | Testimonio |
Delagneau, Philippe | Ma vie avec Graciela | |
Gabriel, Myrna | Ma vie avec Graciela | |
Giosa, Alejandro | Sembrando Luz | |
Jauny, François-Marie | Témoignage | |
Noir, Marie-Christine | Lettre à Graciela | |
SOS Psychologue | Séance d'analyse de rêves de mars 2023 | |
Témoins | Témoignages sur Graciela | |
Thomas, Claudine | Hommage à Graciela |
D'origine italienne, je suis née en Argentine où j'ai exercé mon métier de psychologue au sein de la Marine nationale. Ces études ethnologiques – réalisées en collaboration avec des anthropologues, des sociologues et des médecins – ont abouti à de nombreuses publications ainsi qu'à des réalisations concrètes telles que l'adaptation de collectivités agraires aux populations aborigènes sur un modèle de travail appliqué en kibboutz. Très tôt intéressée par les concepts jungiens, j'ai tenu à me mêler aux cultures d'Amérique latine, témoins de l'inconscient collectif. En 1978, je décide de quitter le sol américain pour développer la pensée de Jung en France et je prépare le doctorat d'état à l'université René-Descartes, Paris V. J'exerce ma profession à Paris, dans mon cabinet, comme analyste clinique et psychanalyste et en qualité de consultante de clinique parisienne. Je propose les thérapies dans les langues française et espagnole. Je suis psychanalyste de l'ambassade de la République argentine en France. En 1989, je fonde S.O.S. Psychologue, une association à but non lucratif qui permet à toute personne de bénéficier du suivi thérapeutique à des prix inférieurs aux tarifs habituels. En dehors de mon activité principale :
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Doctora E. Graciela Pioton-Cimetti
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J’ai rencontré pour la première fois Graciela en juin 1987, par l’intermédiaire de ma tante, Marie, et de son mari, Jacques Pioton. A cette époque, ma tante, qui a été une seconde mère pour moi, s’inquiétait pour ma santé psychologique. En effet, à cette période de ma vie, j’ai fini par me sentir seul, au bord d’un néant que j’étais incapable de nommer, ni de comprendre. J’étais un peu, beaucoup perdu.
C’était une belle journée de printemps ensoleillée, qui annonçait l’été. Je me suis rendu au rdv que m’avait donné ma tante, sans a priori, alors que j’étais en arrêt de travail depuis mars pour ce qu’on appelle une dépression profonde. Les mots me manquent encore pour décrire ce qui était un ressenti étrique : l’impression d’être abandonné par mes proches, non qu’ils m’aient comme laissé tomber, mais j’avais la sensation profonde de ne plus être relié à mes proches familiaux, de ne pas être écouté, de ne plus pouvoir compter sur quiconque, bref de ne plus me sentir protégé, en fait d’avoir perdu un cadre, sans lequel tout être social normal ne peut survivre bien longtemps. Mon premier poste en province, loin de mon cadre familial, avait fini par mettre en lumière les failles existantes et les limites dans la construction de mon identité. Je ne me rappelle plus exactement comment s’est déroulé ma première séance avec Graciela. Mais elle me rappelait toujours que j’étais parti en oubliant ma veste bleue, pointant l’acte manqué très symbolique de mon vœu inconscient de revenir voir cette psychanalyste, que je n’appelais pas encore Graciela. De mémoire, j’ai rapidement repris confiance en moi, au gré de mes séances hebdomadaires avec elle, durant les mois qui ont suivi, jusqu’à la reprise d’une activité professionnelle en octobre. Les moments les plus douloureux de mon analyse, qui est loin d’avoir été un long fleuve tranquille, encore moins régulier, se sont déroulés entre 1987 et 2002, année où j’ai complètement arrêté de prendre des médicaments. Une période particulièrement désagréable et invalidante se situe entre 1997 et 2002, avec des somatisations très fortes, qui m’a paru une éternité, pendant laquelle des idées noires m’ont traversé l’esprit. Le chemin analytique est un voyage à deux vers une destination inconnue, en passant par des contrées imprévisibles qu’il vaut mieux ne pas connaître à l’avance : à chaque jour suffit sa peine. Je crois que mon carburant a toujours été à la fois une certaine confiance en moi, le fait que je ne pouvais pas disparaître ainsi, sans avoir goûté un minimum à la vie (sinon la vie n’avait pas de sens), d’être protégé quelque part, et surtout une confiance en Graciela, dont je sentais, en grande partie inconsciemment, la capacité de « me sortir de là ». Je lui fait immédiatement confiance. Je lui ai confié ma vie, je devrais plutôt dire pendant des années ma survie. Je lui en suis reconnaissant pour l’éternité. Tout ce processus, pour reprendre un cadre de la psychologie selon Jung, s’est déroulé sur un mode instinctif et au plan des sensations, parfois avec de la logique, nettement moins au plan des sentiments (car je me suis toujours reconnu mal armé pour exprimer mes émotions et mes sentiments, car cela fait partie d’un territoire ressenti comme dangereux depuis ma lointaine enfance). Au bout de quelques années, au début des années 90, donc assez rapidement, j’ai démarré des études de psychologie à Paris VII, ayant déjà compris à cette époque, que ma vie devait s’orienter vers la compréhension et l’aide de l’autre, ce qui est pourtant étonnant compte tenu de mon parcours scolaire et professionnel très scientifique. Graciela m’a amené à cette démarche discrètement, sans que je puisse me rappeler si elle a eu une action active ou si ça venait de moi, probablement issu d’un dialogue à deux. Mais au fond de moi-même, j’ai depuis longtemps senti que j’étais sur Terre pour remplir une mission, me mettre au service des autres, à partir de l’expérience et de la sensibilité que j’aurai acquises, pour les accompagner et les guider au plan psychologique. C’est néanmoins étonnant de la part de quelqu’un pour qui les relations humaines n’étaient pas évidentes, encore moins faciles depuis mon adolescence, sortant à peine d’une période de grande timidité, pour qui parler en public était d’emblée une mission impossible. En classe, réciter une poésie ou parler en public était une épreuve douloureuse et périlleuse : je bégayais, je rougissais, je perdais tous mes moyens, j’étais très mal à l’aise, à la limite d’un état de panique. Heureusement avec le temps et surtout grâce à l’analyse, ma timidité a maintenant disparu. Je n’hésite pas à aller de l’avant, à aller à la rencontre des autres en toute circonstance. Je me rends compte que ma timidité a mieux évolué chez moi que chez mon père, où la timidité s’est transformée en complexe de supériorité, ce qui n’est pas complètement compatible de bonnes relations humaines avec les autres mon père a toujours été inaccessible, en tout cas pour moi (mais il y mettait beaucoup de sien, c’était son système de défense psychologique). Je crois que j’ai senti assez rapidement, au départ complètement inconsciemment, que Graciela avait compris le drame de ma vie, qui se nouait fondamentalement autour d’un complexe d’abandon, sans doute parce que cela raisonnait - elle m’en parlera plus tard -, à son propre complexe d’abandon, mais aussi parce qu’elle avait d’emblée une compréhension fine et profonde de, sans doute, toute personne qu’elle rencontrait pour la première fois. Ensuite, dans une analyse, Graciela, comme tout autre psychanalyste ou plus largement psychothérapeute, devait travailler avec les matériaux apportés par le patient, selon un mélange subtil entre écoute consciente, pleine, ouverte au discours de l’autre, et mise en relief des points d’achoppement de ce discours, qui pouvaient être mis en relation par le patient avec les nœuds de sa problématique intérieure, selon un lent processus entre prise de conscience (il y a là quelque chose qui cloche, à analyser, à comprendre), appropriation (confirmation qu’il s’agit de quelque chose de récurrent dans sa vie, qui bloque, empêche son évolution), compréhension (une première boucle est réalisée), intégration (acceptation de ce qui a été compris et prise en compte consciemment dans son comportement) et entretien de ce qui a été compris (veiller à ne pas retomber dans les erreurs d’autrefois, consolider l’acquis). Graciela a sans doute rapidement compris que, face à ma névrose profonde, avec des traits autistiques, donc à la frontière de la psychose, de ce qui est convenu d’appeler « border line », il fallait travailler subtilement mes résistances, mes peurs, mes réticences, mes défenses (pour se protéger de la douleur, de la déprime, voire d’un effondrement), au cours d’une analyse qui aura durer des décennies (plus de 35 ans), pendant laquelle il a fallu que je me déconstruise et que je me construise à la fois, tout en menant et développant une carrière professionnelle, les deux lignes se soutenant l’une l’autre dans une dynamique positive, dont le carburant est à la fois la motivation du patient et l’efficience de l’analyste. Celle de Graciela était exceptionnelle, de par son intelligence et par son professionnalisme : elle aura consacré toute sa vie et toute son énergie à aider les autres au plan psychologique et dans la réalisation de leur être.. L’intelligence de Graciela aura été pour moi d’associer un objectif de vie, celle d’aider les autres (au travers de ma prise de conscience, celle de donner un sens à ma vie, et dans le cadre de l’association SOS Psychologue), au travail d’analyse proprement, d’acquérir progressivement une identité et une autonomie, tout en gommant les mauvais traits de mon caractère et de ma personnalité. Maintenant que Graciela nous a quitté en janvier 2023, je mesure le travail effectué et le challenge qui m’est donné, celle de poursuivre l’œuvre de sa vie, notamment au travers des activités de SOS Psychologue, transmettre aux autres des messages de vie et leur permettre de libérer la parole et d’initier ou poursuivre un travail sur soi, au sein d’un groupe de paroles, mais probablement en construisant un nouveau cadre et en adaptant sa méthode à mes possibilité et à mon environnement, en déclinant sa pensée et son héritage. Au delà de son travail d’analyste, telle une guerrière de la psyché, notamment au travers d’un inconscient, dont nous, tous humains, en partageons une partie (l’inconscient collectif de Jung), Graciela était une sculpteur d’âme, travaillant sur le psychisme complet de l’autre, dans sa dimension spatio-temporelle, n’hésitant à pouvoir devenir à la fois mère, amie et maître spirituel. |
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Hervé Bernard
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J’ai connu Graciela à une rencontre de conversations en anglais. Rapidement une affinité s’est établie (liée aussi à nos origines argentines !). Et j’ai commencé à assister aux réunions des analyses de rêves, que j’ai trouvé très intéressantes ainsi que tous les assistants : non seulement c’était bénéfique pour moi, mais également j’ai appris beaucoup sur la psychanalyse et sur Jung bien entendu.
Par la suite il y a eu le drame de son AVC et j’ai contribué pour un certain temps à réaliser des échanges linguistiques en français et en espagnol pour essayer de ré établir une communication plus fluide : quel bonheur de la voir progresser lentement ! Mais hélas jusqu’à un nouvel AVC qui a été très handicapant, son décès m’a profondément ému et elle me manque toujours non seulement pour son profond côté humain mais aussi pour son intelligence et pertinence des observations. Paix à ton âme, chère Graciela ! | |
Daniel Bosco
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Nous nous sommes rencontrés le vendredi 26 septembre 2003, il y a vingt ans lors d’un second groupe de travail de psychologie empirique animé par son mari Maître Georges de Maleville.
Graciela était assise en face de son mari dans le canapé rouge du 114 rue Michel-Ange à Paris, cette place lui était réservée. Elle se tenait à ma droite, nous devions être au commencement une dizaine d’élèves. Georges animait ce groupe, Graciela restait silencieuse, comme nous, dans l’écoute attentive, humblement. Je me souviens de ma grande émotion durant ces premières réunions, une émotion qui me faisait invariablement pleurer durant une prise de parole qui m’était proposée. Graciela se levait et allait chercher la boite de kleenex posée sur un guéridon à sa droite puis me la tendait avec toute son attention et sa compassion qui émanaient d’elle. ***
Après le décès de son mari, le lundi 16 janvier 2006, Graciela prenait la succession et la direction de l’enseignement. Quel bouleversement alors, et quelle adversité avons-nous dû affronter pour maintenir ce groupe conformément et en relation à une Conscience Morale Etrique qu’exige un tel enseignement, une telle transmission. Beaucoup d’élèves soumis à des influences contraires partirent. Que sont-ils devenus aujourd’hui ? Peu m’importe, ce n’est pas mon affaire, ma bonne et heureuse étoile, mon instinct agissaient pour continuer le travail avec Graciela. Nous nous retrouvâmes avec une poignée d’élèves qui constituèrent ensuite le socle d’un groupe de travail ésotérique. Et cela correspondait d’ailleurs à la nature profonde de Graciela, à son essence. Elle ne voulait pas de « touriste », l’enseignement a ses propres exigences, se transmettant dans la durée et les efforts à travers les expériences individuelles et volontaires de chacun. Elle ne le souhaitait pas pour elle-même, pour ses élèves, et pour les nouveaux prétendants. Mieux vaut ne rien commencer que de renoncer en cours de route et s’endormir à nouveau mais cette fois-ci dans un demi-sommeil ne laissant aucun repos. Il n’y a pas de situation plus inconfortable que la confusion. Dormir ou s’éveiller. Il n’y a pas de conciliation possible, c’est dans la nature même d’un chemin de conscientisation. Qui n’évolue pas, régresse et malheur à celui qui reste assis entre deux chaises à ressentir inconsciemment ou non cette situation. Et puis commença avec Graciela une autre dimension du travail, un travail analytique centré sur ma personnalité, mon histoire individuelle, familiale et sociale. Quel privilège de pouvoir travailler, de pénétrer simultanément ces deux dimensions, toutes deux bien réelles sur des plans différents. Le travail avec Graciela a toujours été exigeant, à l’image de ce qu’elle s’exigeait à elle-même. Sans ce travail avec Georges et Graciela, beaucoup de choses me seraient aujourd’hui inconnues et incomprises, je ne serai pas ce que je suis aujourd’hui. L’un de ses petits-fils a dit un jour « Elle sculpte les âmes », Beaucoup de choses restent à comprendre. J’ai cheminé avec Graciela durant 20 ans par un travail constant et responsable rendu possible par la constance et la responsabilité même de Graciela. J’ai été le témoin de sa détermination, de sa permanence, de sa force, de sa générosité durant nos entretiens, durant les groupes de travail SOS qu’elle animait. Elle ne regardait pas sa montre. Elle était le Maître d’un temps qu’elle consacrait au travail sur soi pour elle-même et pour les autres. J’ai été le témoin jamais contrarié durant 20 ans. Un témoin du travail lors de ces rencontres particulières au sein des groupes ésotériques et analytiques. Un témoin intime aussi lors de nos nombreux voyages, Je n’ai jamais vu Graciela renoncer, remettre au lendemain, reporter une tâche, fuir. Toujours dans la confrontation et pour le bien du « supérieur », toujours pour s’opposer et endiguer toute vague, toute influence négative. Vingt ans de Bouddhisme, quarante ans de Gurdjieff dont vingt ans en tant qu’instructeur, Docteur en psychologie clinique avec une solide formation et compétence dans l’interprétation des rêves, Chrétienne à se rendre à l’église chaque dimanche, à se signer devant chaque croix, chaque église pour se rappeler elle-même à la conscience, à sa vocation d’accompagner l’autre dans cette vallée de larmes qu’avait évoquée Georges, à lire son carnet de prière chaque soir avant de s’endormir. Oui, cela en fait un être remarquable. Deux mois avant son départ Graciela me remettait son recueil de prières où je peux y lire ses annotations depuis 2006. A cette époque, elle lisait ces prières dans l’intimité avec son mari. Chaque soir, elle ouvrait ce recueil à la prière du jour, il y a une prière pour chaque jour de la semaine. Alors, pour la première fois depuis que j’écris pour SOS, je prends en cet instant la décision de renommer ce « numéro spécial sur Graciela » en lui conférant le titre « Mon témoignage en hommage à Graciela » ou « Ma vie avec Graciela ». Car cette vie avec elle continue, rien n’a changé pour moi en dehors de son apparente « absence physique ». J’ai conservé rigoureusement la même organisation du travail et de vie. Nous nous réunissons chaque vendredi à 21h et nous vivons notre groupe de travail selon un protocole resté inchangé. Une photo de Graciela est exposée en face de nous sur notre table de salon, une bougie est allumée selon le même rituel qui était devenu le nôtre durant nos réunions. Chaque quinzaine, le mardi à 17h15, nous commençons notre travail sur le plan analytique. A 17h15, Graciela recevait ma femme Claudine dans son cabinet au 84 rue Michel-Ange puis Graciela venait me chercher dans le salon vers 18h15/18h30. Cela variait et dépendait de la densité de la matière travaillée. Je me rappelle de nos réunions et de notre rituel. Très souvent, cela commençait par un temps de respiration, un temps d’écoute silencieuse comme pour matérialiser le moment unique et joyeux d’une rencontre sur un plan plus conscient, plus subtil, puis le travail commençait. Il y a bien longtemps que mon histoire personnel avait été travaillée et rendue au second plan, nous travaillions principalement sur mes rêves qui pour beaucoup étaient symboliques. L’heure des séances n’était pas suffisante, il y avait parfois des périodes d’absence de rêve et nous travaillions alors sur les concepts en résonnance avec mon chemin de vie ou surgissait invariablement un questionnement, et Graciela y répondait. C’était l’opportunité de libres échanges à un degré de conscience que je ne trouvais nulle part ailleurs. Ce travail était tellement chargé en émotion que parfois je partais sans régler ma séance. Nous nous en amusions Graciela et moi. A notre dernier travail, le mardi 10 janvier 2023, il nous restait encore trois rêves à travailler. Graciela sou-haitait continuer. Je lui ai alors proposé de rester en cet instant si harmonieux dans cette paix engendrée par un travail conscient. Alors, et c’était notre protocole de paix en fin de séance, nous avons fumé une cigarette bien consciemment. Oui, Graciela fut un être remarquable que des circonstances accidentelles m’ont fait rencontrer pour mon plus grand bonheur Etrique. Dans ce travail que nous continuons, Graciela est omniprésente. C’est à travers le travail, mes efforts quotidiens, cette permanence sur mon chemin de conscientisation qu’elle est la plus vivante, la plus vibrante en moi. Je ne peux pas lui rendre un meilleur hommage que de vouloir continuer à devenir plus conscient, plus aimant, plus vibrant, plus courageux. Au cours des deux derniers mois passés avec Graciela, j’ai reçu plusieurs signes prémonitoires de son départ provenant d’elle-même, et après son départ, je me suis souvenu de plusieurs rêves successifs où se manifestait sa présence « autrement ».
A Graciela, tendrement, ton fidèle élève en vérité.
Dans cette vallée de larmes comme l’évoquait Georges, je t’embrasse avec tout mon amour. Nous nous retrouverons « autrement ». Fait à Chessy, le dimanche 24 septembre 2023 | |
Philippe Delagneau
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J’ai eu l’honneur de rencontrer Graciela en 1986. Elle et Georges étaient des amis de mon mari Jean-Pierre. La première fois que nous nous sommes rencontrés, nous étions comme des âmes sœurs. Elle m’avait adopté.
Jean-Pierre était passionné de SOS et il a travaillé avec ce groupe jusqu’en 1994. Il a aussi traduit son livre « Aspects Psychosociaux de Carl Gustav Jung de l’espagnol au français. Ils étaient tous les deux des êtres passionnés. Après le décès de mon mari, Graciela m’a accompagné dans mon deuil. Chaque fois que j’entrais chez elle au cabinet du 84, je baignais dans une atmosphère accueillante et paisible. Elle disait toujours « Querida » et elle me donnait toute son attention. Mon travail analytique avec Graciela a transformé ma vie. Elle était extraordinaire, surtout grâce à sa présence, toujours à l’écoute et elle n’était jamais pressée. Elle m’a aidé à me comprendre et à me reconstruire. Après chaque séance, je trouvais la paix, elle me disait que j’avais eu un lifting. C’était vrai, quelle force, quelle amour ! A partir de 2008, j’ai aussi travaillé avec son groupe de travail. J’avais constaté pendant l’une de mes séances analytiques, que Graciela était comme dans un état de méditation et je lui avais alors demandé si elle pouvait m’aider à trouver cette paix. Elle était toujours un exemple pour moi de générosité, de sérénité, de courage et d’accueil. Elle était une femme qui vivait pleinement, avec la passion pour la vie et son travail. Nos voyages ensemble sont des souvenirs d’aventure et de complicité. Elle disait toujours « oui » à l’aventure. On laissait venir les impressions, on roulait par terre dans les feuilles d’automne du Canada, on conduisait à côté des falaises en Corse en regardant les vues magnifiques à couper le souffle, on a plongé dans les vagues de Biarritz et partagé le maté à Miramar en Argentine. Graciela avait plein d’amour pour ses enfants et j’ai eu le plaisir de rencontrer deux de ses enfants. Je n’oublierai jamais le voyage en Argentine avec elle. Je n’ai jamais vu Graciela aussi heureuse que quand elle était avec ses enfants. Son rire était profond, elle était tellement heureuse d’être avec son fils Mario et sa famille, dans son pays. Merci pour tout Graciela. Notre travail continue, je continue de vivre avec ton exemple et tout ce que tu m’as donné. J’entends ta voix m’encourager.
Avec Amour,
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Myrna Gabriel
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Après le vide causé par la perte d’un maître survient une prise de conscience : que faire avec tout le matériau façonné ensemble ?
L’héritage immatériel de Graciela est partagé par un groupe dont je fais partie. Il ne m’appartient pas. Aucun testament ne l’accompagne. Mais la puissance des armes qu’elle m’a léguées, la finesse de ses analyses, sa capacité hors norme à comprendre les problèmes insolubles pour les réduire en questions simples et claires, en un mot, sa « grâce », continuent de nous habiter autant qu’ils nous obligent. Graciela m’a transmis le rappel de la responsabilité. Elle m’a ouvert les yeux sur la nécessité d’agir en pleine conscience de nos actions. Fidèle à son large crédo syncrétique, elle m’a convaincu de cette obligation, que ce soit pour répondre aux exigences morales de chacun, ou tout simplement pour « ne pas ajouter de désordre au monde ». Les personnes qui ont côtoyé Graciela ont vu son talent incomparable à pénétrer les problèmes les plus sérieux, les plus douloureux, pour en tirer des conclusions simples (la fameuse « lysis » d’un rêve). Cette force explicative redoutable aurait pu habiter le corps d’un professionnel médical froid et impitoyable et nous en aurions profité. Mais la providence l’a placée dans un corps de femme bienveillante, dont la voix envoutante a rythmé nos débats passionnés. Cette voix si douce qui jusqu’au bout ne voulut pas disparaître... Parmi les concepts clefs que Graciela m’a fait travailler sans relâche, l’un se détache clairement : l’égo. Ce concept familier a pris une dimension sans égal dans mon esprit. Que de fois nous l’avons observé ensemble pour mieux comprendre ses manipulations. Que de fois s’est-il travesti sous des formes « plus subtiles » pour continuer d’animer mes actions. Que de fois l’ai-je vu rendre les hommes misérables. Le travail que demande l’égo est immense. J’ai l’impression que son étude pourrait se poursuivre jusqu’à la fin de mes jours. Mais quelle satisfaction que de voir l’égo en action et quel plaisir que de le surmonter pour reprendre le contrôle de nos vies. Même si je devais renoncer à tout le reste et garder de notre travail une seule de nos conversations sur l’égo, je lui serais éternellement redevable. Il ne se passe pas un jour sans que je n’use d’un aphorisme, un principe, une règle de conduite transmise par Graciela. Parmi ceux-ci je n’en citerai qu’un : l’exigence est une chance. La présence d’un proche, d’un chef ou toute autre personne nous imposant des hauts standards de travail ou même des standards moraux peut nous apparaître comme un poids, une charge réduisant notre liberté d’hésiter, de procrastiner ou, pour le dire simplement, de renoncer à agir. Et pourtant, Graciela a su me montrer comment tirer de toute personne exigeante le moteur d’une action. D’abord elle a su expliquer, patiemment, comment les attentes des autres nous poussent à l’entreprise et au dépassement de soi. C’est grâce à cette fermeté que l’on devient meilleur. D’autre part, j’ai progressivement compris que l’exigence rimait avec bienveillance. Au fond, nous comptons peu aux yeux des personnes qui attendent peu de nous. Que nos actions soient couronnées de réussite ou entachées d’échecs, ne leur importe point. En ce sens, l’exigence est une marque d’intérêt et non une énième contrainte comme je le ressentais avant d’avoir rencontré Graciela. D'où vient cette chance? Il m'est impossible de saisir comment et pourquoi j'ai été placé sur le chemin de Graciela. Mais résoudre le pourquoi importe peu. Lorsque l'on est frappé par la chance sans savoir si nous le méritons, le mieux est de la recevoir en toute humilité. Or l'humilité est l'adversaire de l'égo et Graciela, aujourd'hui absente, parvient une fois de plus à boucler son propos. L’exigence est une chance et la chance crée une exigence, celle de poursuivre le travail entamé ensemble. Je ne parviens pas à trouver une conclusion à la hauteur de cet être hors du commun, une formule capable d’effleurer sa profondeur et sa richesse. Coucher sur papier mon témoignage est un exercice frustrant, à l'image des épreuves que Graciela m'a fait traverser et que résume un autre concept clef du travail : la souffrance volontaire. Ce texte a probablement échoué à transmettre ne serait-ce qu’une bribe du trésor qu’elle m’a transmis tant il faudrait une autre vie et de larges volumes pour rendre hommage à tous les enseignements qu’elle a prodigués. A défaut de lysis, je choisis la consolation : notre héritage n’est pas dans le témoignage mais dans l’action. Après avoir tant reçu, à nous de donner. | |
François-Marie Jauny
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Coucou ma Graciela,
Hervé a repris le flambeau et nous (tes fidèles participants, voir admirateurs respectueux et pleins de tendresse) réunit avec beaucoup de bienveillance un mercredi soir de temps à autre. L’analyse des rêves ainsi continue et je te le confie, chacun est heureux d’être là, même si ton talent, ta perspicacité, ton savoir nous manquent. Tous nous sommes devenus des adeptes de l’analyse jungienne et ce n’est pas ton départ dans un autre chemin qui nous éloignera de toi. Tu es notre leader et cela sera pour notre éternité. En ce qui me concerne, après une efficace analyse freudienne, j’étais un peu égarée dans ma quête de spiritualité. Tout doucement sans le dire tu m’as montrée un chemin lumineux où Jung et l’invisible se côtoient, s’unissent, me guident et me permettent l’accomplissement de mon Soi, et ma vie a désormais du sens. Tu as été mon guide avec un talent et une douceur. Hervé dès 2001 m’a entrainée dans l’aventure de Graciela : le cercle d’analyse clinique des rêves à la façon jungienne. Immédiatement je m’y suis sentie bien, avec la forte intuition que là était mon chemin. Ce fut à chaque séance pendant 22 ans (avec des absences de-ci de-là), passionnant et très enrichissant. L’écoute et les résonances m’ont montré un chemin où on avance en accord avec son cœur, son âme. J’ai vécu cela, appris à faire confiance à mon ressenti et ainsi oser des chemins qui réjouissent mon cœur. Le plus beau compliment que Graciela m’ait fait : « Tu es une femme libre, mi carena, vraiment libre. C’est rare. Vis tes intuitions. » Guider sans imposer, c’est merveilleux. Cela existe, tu as réalisé cela avec légèreté, sourire, amour. Quand à la femme si jolie, si élégante et heureuse de partager des moments de légèreté, d’insouciance avec la petite Marie-Christine, là, je t'avoue que ton éloignement physique me manque. J’étais si fière d’échanger avec toi sur tout et n’importe quoi, à où un autre bonheur enfoui sans mon cœur et qui réchauffe les jours de disette.
Merci Graciela.
Pour notre éternité je t’aime, | |
Marie-Christine Noir
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SOS Psychologue
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Lors de la séance d’analyse de rêves de mars 2023, les participants ont témoigné sur Graciela sur proposition du secrétaire de l’association SOS Psychologue, Hervé Bernard. En voici les verbatim :
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PREAMBULE AUX TEMOIGNAGES Marie-Christine : A propos de Graciela, je souhaite vous lire un article, que j’ai retrouvé récemment « L’analyse jungienne des rêves » par Juliette Allais (Psychologies magazine, avril 2010) :
« L’analyse jungienne est l’une des approches les plus précises pour se relier à soi, car nos rêves révèlent notre façon personnelle de nous approcher du centre de nous-même et de trouver le sens de notre vie. Pour Jung, l’inconscient n’est pas un réservoir de pulsions refoulées, et encore moins un dépotoir de traumas et de désirs interdits… C’est un lieu lumineux, une organisation dynamique, qui, certes, contient notre part d’ombre, mais qui est essentiellement la source de nos richesses intérieures. Il faut aussi savoir que, pour Jung, la psychisme n’est pas immatériel, mais une énergie concrète qui permet les transformations intérieures. Marie-Christine : Je trouve que ce texte tombait à pic, je ne l’ai pas fait exprès. Mais comme tu le sais bien, il n’y a pas de hasard. Le travail en séance correspond à peu près au travail que nous faisons dans notre groupe. Hervé : Ce texte est très bien. Marie-Christine : Comme je n’étais pas sûr de raconter un rêve, voyant ce texte, j’ai pensé que cela intéresserait quelqu’un. Hervé : Ce que j’ai prévu pour ce soir, c’est de faire une minute de silence pour Graciela, puis d’avoir une soirée en 3 parties. Une première partie où chacun témoigne sur Graciela, dans la mesure où chacun la connaît, ensuite une partie pour les réponses aux questions, enfin la partie traditionnelle pour l’analyse des rêves. Je l’explique pour Christophe qui vient pour la première fois : à tour de rôle, chaque participant est invité à raconter un rêve, s’il le veut, puis tout le monde est invité à dire ce qu’il ressent, questionner, éventuellement proposer une interprétation. S’ensuit un dialogue entre le rêveur et les autres participants. Tout ce qui s’échange au cours d’une soirée d’analyse de rêves, reste à l’intérieur du groupe, chacun est censé ne pas raconter ce qui s’est dit, pour rassurer les gens et leur permettre de parler en toute confiance. C’est un groupe de parole, selon un concept créé par Graciela, pour travailler les rêves en groupe. Marie-Christine : Cela existe aussi en Suisse et au Canada. Mais elle était peut-être la première, ce qui est formidable. Hervé : Graciela était d’origine argentine et est venue en France dans les années 70. Elle a vécu plus de 40 ans en France. Elle était aussi sophrologue, sociologue, elle a écrit différents livres et a participé à différentes émissions de radio. Marie-Christine : Et ce dont elle était fière, elle a notamment participé à l’installation de la pratique de la méditation à l’Hôpital Pompidou. C’est important. Jung lui donnait une forme de reconnaissance sur sa grande capacité à apaiser, à intérioriser et à calmer. Ce n’était pas pour les patients, mais pour les soignants. Car les soignants ont un stress colossal à l’hôpital. A cette époque ce n’était pas aussi évident que cela. J’ai fait une analyse freudienne où les rêves sont secondaires. C’était avec deux médecins psychiatres. Hervé : Les soirées d’analyse de rêves ont commencé au milieu des années 90. Et C’est Graciela qui a créé l’association SOS Psychologue en 1989, au début c’était des réponses téléphoniques, d’ailleurs je n’étais pas dans la boucle. Elle a changé les activités de l’association, notamment en instituant les soirées d’analyse de rêves en groupe. J’y participe depuis 25 à 30 ans. La première lettre date de 1994. Marie-Christine : Je suis arrivée en 2000. Hervé : Il y a eu quasiment chaque mois, le dernier mercredi du mois, une séance d’analyse de rêves en groupe. Marie-Christine : Pour l’instant, tu découvres, c’est normal. Ce n’est pas uniquement l’analyse de ton rêve qui t’apprend, c’est l’écoute de l’analyse des autres et la résonance de ce que les gens disent sur la personne, au fur et à mesure, tu apprends énormément. Hervé : Le travail de groupe c’est toujours positif, car il y a un échange. Cela permet de travailler sur soi, de travailler des matériaux qui viennent de l’inconscient. Marie-Christine : Pour Graciela, c’était son désir profond de démocratiser l’analyse, Hervé va essayer de faire pareil, pour permettre un accès à ceux qui n’ont pas d’argent. A un moment donné, elle a soigné sur une péniche des gens en les faisant parler sur leurs rêves, il y avait beaucoup d’alcooliques. C’était sa manière de tenter une démocratisation. Hervé : Elle voulait donner accès à la psychologie au plus grand nombre de personnes. Marie-Blanche : Et tu voyais souvent Graciela ? Hervé : De mon côté, j’ai travaillé avec elle pendant 35 ans, 2 fois par semaine, sauf quand elle partait en Argentine et quand j’étais en vacances. J’aurai été en analyse avec elle jusqu’à la fin de sa vie. Pour moi cela a été une nécessité au début, puis je suis devenu son élève. J’essaie de poursuivre son travail en me mettant à sa place, afin de ressentir comment elle pensait, comment elle voyait les choses. Elle ne me l’a jamais dit explicitement, je suis sûr qu’elle veut qu’on continue quelque chose. Marie-Christine : A moi, elle me l’avait demandé. J’avais dit non, elle l’a mal pris et après elle a compris. C’était il y a 10 ans. Mon chemin est ailleurs, je suis plutôt tournée justice. Elle me disait que je n’avais pas la formation psy, mais que j’avais l’enthousiasme, l’intuition. Et j’avais la capacité de faire adhérer les gens. J’ai dit que j’étais très honorée, mais j’ai dit non. Hervé : Tu y participes un peu quelque part. Marie-Christine : Ce n’est pas pareil que de prendre un engagement. Je n’étais pas en analyse avec elle. Mon analyse était déjà faite, j’étais bien dans mes baskets. Cela m’a beaucoup apporté avec Jung, mais aussi avec d’autres choses. Elle avait une grande tolérance et acceptait qu’un rêve soit prémonitoire. Mais cela allait au delà du scientifique. Hervé : Je vous propose maintenant une minute de silence. Maintenant on va commencer, je suis sûr que Graciela est là pour nous accompagner. Je vous propose dans l’ordre que vous voulez, de témoigner sur elle.
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TEMOIGNAGES SUR GRACIELA Christophe : De mon côté, je ne la connaissais pas, donc je n’ai rien à dire. Je ne savais même pas qui elle était. Hervé : Je voulais dire que j’ai participé à la cérémonie religieuse pour son enterrement. Si je voulais résumer, c’est le bandeau que j’ai fait mettre sur la gerbe de fleurs « à mon maître, à une mère, à une amie ». C’était beaucoup de choses, mais c’est comme si elle restait dans mon environnement. C’est pour cela que je le prends sereinement pour l’instant et je suis sûr qu’elle voudrait qu’on continue son œuvre. Donc je vais tenter très modestement avec l’aide de ceux qui voudront bien m’accompagner, de poursuivre son travail d’analyse des rêves et la revue de SOS Psychologue, sachant qu’on prévoit, peut-être d’ici l’été, un numéro spécial sur Graciela. Chacun de vous pourra écrire un article. Virginie : Pour moi, Graciela était une mère de substitution, une mère comme je n’en ai pas eu, c’est-à-dire douce, tendre, aimante. On avait envie de la prendre dans ses bras et elle avait envie de nous prendre dans ses bras aussi. Je l’ai prise dans mes bras avec douceur. C’est l‘aspect affectif. Sur le plan de la relation psychanalytique, elle avait une grande pertinence, avec son regard. C’est quelqu’un, qui, avant de parler, réfléchissait énormément. Elle va me manquer. Elle me manque. J’ai pu acheter quelques livres et dans ses livres « Réponses aux questions », on ne connaît pas Graciela, notamment tout ce qu’elle a vécu, ce qui m’a certainement permis de comprendre chaque être humain, ses douleurs, ses souffrances. J’aurais aimé lire ses livres avant qu’elle ne parte. Marie-Christine : Elle a parlé de sa vie dans « Nicanor ». Tu y trouves la totalité. Virginie : C’était une grande personne qui avait plein de facettes. Elle était très modeste, très humble. Jamais elle ne se mettait en avant en disant : « j’ai vécu ceci, cela », jamais ! Hervé : Elle était toujours discrète. Virginie : Elle a laissé la place aux autres. Elle leur donnait toutes leurs place et elle, n’en a jamais fait état toute sa vie. Marie-Christine : Moi, je la vois différemment, c’est normal. Je n’ai pas envie de parler de la thérapeute, j’ai envie de parler de la femme. Pour moi, c’était une amie. Mais ce qui était valorisant et fascinant pour moi, c’est que cette femme qui savait tant de choses et qui savait cerner les gens, sa première grande qualité était un grand respect de l’autre et une grande tolérance. Tout était possible. Cette femme, qui a eu un parcours très chaotique, c’était avant tout une grande travailleuse pour moi et bien centrée sur son œuvre. Pour moi, elle avait aussi de grandes brisures, qu’elle n’allait pas raconter dans un cercle, car ce n’était pas ses intimes. Car elle savait très bien distinguer ses intimes et son monde du travail, c’était deux choses différentes. Mais j’ai eu la chance de la connaître par hasard, ce sont les hasards de la vie. Elle était joyeuse, rigolote, s’amusant beaucoup, notamment avec Georges. Je lui ai proposé des choses insolites, je l’ai fait devenir présidente d’un concours de chapeaux sur l’hippodrome de Deauville dont elle était très fière et qui l’avait beaucoup amusé. Elle était aussi comme ça. C’était deux vies. Et je crois qu’à la fin de sa vie, elle n’avait pas beaucoup de vie personnelle. Je ne parle pas de son AVC, qui était autre chose. Cela lui manquait. C’était fatigant de recevoir, car il lui fallait aussi déverser, s’échapper. J’aimais bien cette partie, car elle ne s’autorisait pas grand-chose, mais le résultat est qu’elle avait des visions de femme forte. Tout n’était pas réussi dans la vie de Graciela, loin de là. C’est ce qui fait son humanité. Comme thérapeute, elle était magistrale. Pour moi, ce qui la caractérise, c’est sa tolérance au delà de sa compétence et de ses intuitions. On pouvait s’exprimer de la matière dont on voulait. Et Dieu sait qu’elle avait eu tous les échantillonnages possibles sur 30 ans. Et malgré tout, chacun y trouvait son compte. C’est quand même difficile d’être audible par autant de gens si différents. Dans le premier cercle, j’étais la seule non initiée. Hervé était plus initié, car avec son analyse, il était au cœur de l’analyse des rêves. Les autres étaient plus ou moins des psys, dont un que j’ai adoré, un musicologue. Il y en avait un autre qui donnait des cours dans les prisons, mais j’avais aussi fait cela avant. Des tas de gens qui étaient déjà tournés vers l’autre. Puis ensuite d’autres gens sont venus. C’était un travail colossal et elle l’a toujours fait. Et un des plus grands moments de sa vie, je le dis pour elle, c’est quand elle a reçu la légion d’honneur. Ce fut pour elle une soirée inoubliable. La mairie du 16ème lui avait organisé une fête. Il y a eu un quiproquo qui amusera Jean-Jacques. Elle avait voulu inviter un monsieur très chic, dont le papa avait fait quelque chose avec le général de Gaulle, qui habitait avenue Bosquet. Jean-Jacques : Arnaud ! Marie-Christine : Elle était persuadée qu’Arnaud était mon amoureux. Il a été longtemps été un prétendant, mais je n’ai jamais rien fait avec Arnaud. Elle m’a dit « tu es contente, on va faire une photo avec Arnaud ». Je lui ai répondu que je me moquais d’Arnaud. Et elle a éclaté de rires, elle était naturelle. Elle était fraîche et naturelle, elle est restée ainsi jusqu’à l’AVC. C’est quand même rare et merveilleux. Car il y a eu le départ de son mari, qui a été un moment extrêmement difficile, mais elle a continué, rien ne l’éloignait du chemin qu’elle s’était fixé. Hervé : Je te remercie, Marie-Christine, de la faire revivre. Marie-Christine : Tu sais très bien que je suis directe. Mais quand j’ai croisé Marie-Caroline, c’était pour elle la fin du monde. Elle m’a dit que j’étais triste, mais je voyais depuis des mois que Graciela en avait marre. Elle est partie sans souffrance, c’était une délivrance pour elle. Elle croyait en l’au delà. J’ai fait le plus que je pouvais, avec mes façons d’être qui ne sont peut-être pas la norme. Mais je peux lui parler parfois dans la journée et cela ne me rend pas triste. Elle avait été au bout de ce qu’elle voulait. Elle a tenu comme elle a pu, c’était une épreuve surhumaine. Une fois je passais en voiture pour l’emmener au cinéma. Et devinez où elle était. Assise par terre devant le 84, car elle avait peur de me rater, à 88 ans. Et Jacques me téléphonait, inquiet, car elle s’était sauvée sans le lui dire. C’était beau en même temps. Virginie : Il n’y a pas de gêne, mais en même temps elle avait beaucoup de classe. Tu étais à la dernière séance ? Marie-Christine : Oui, en décembre. J’ai des photos d’elle à son anniversaire. Virginie : Moi aussi. Peut-être que dans le prochain numéro de SOS, on pourrait mettre plusieurs photos de Graciela. Hervé : Je peux bien sûr utiliser les photos de son anniversaire, Ama m’en a envoyé quelques unes. Marie-Christine : Mais la plus belle photo d’elle date d’août 2022. Je lui ai fait une surprise que personne ne lui avait fait. Je l’ai emmené dans un bar en haut du palais des congrès d’où on voit tout Paris. Quand elle est arrivée là-haut, avec un ascenseur gigantesque, ultra moderne, elle avait un sourire comme un enfant. Un homme de 50 ans qui travaillait là, nous a vu arriver. Il a vu le sourire de Graciela. Le monsieur a dit : « Je vais vous prendre, car elle est fantastique ». Elle était bluffée. Virginie : Ce qui est bien, c’est que tu l’as connu en tant que femme. Marie-Christine : Mais Jean-Jacques aussi la connaît comme femme. Virginie : Je pense qu’en voyageant, la mer devait lui manquer quelque part. Marie-Christine : Dans ses derniers rêves, elle ne pensait qu’à se retrouver avec son père, dans la pampa, sur son lit de mort. C’est quand même précis. Hervé : Beaucoup de rêves la renvoyaient en Argentine. Marie-Christine : C’était le cas la dernière année. Cela prouvait bien sa lassitude, son désir de départ, de rejoindre les siens. Hervé : As tu un témoignage, Jean-Jacques ? Jean-Jacques : J’ai rencontré Graciela en 2013. C’était lors d’une conférence organisée par un dénommé Jean-Claude. De mon côté, je venais pour la première fois, par curiosité. Je venais de commencer mes conférences, j’en avais fait 2 ou 3, pas plus. Je voulais voir comment il procédait, je ne sais plus sur quel thème. Je me suis retrouvé à une table, en face de moi était Graciela, que je ne connaissais pas. On a commencé à se parler. Cela a été un coup de foudre, mais amical. Tout de suite j’ai accroché, et elle aussi. Toute la soirée on a parlé ensemble, sans arrêt, d’un tas de choses. Il n’y avait qu’elle qui m’intéressait et elle était très intéressée par moi. Je lui avais dit que j’avais commencé à faire des conférences, elle m’avait dit : « je suis sûre que tu es fait pour ça ». Après elle est venue aux conférences, elle était toujours au premier rang, en général. Quand, à propos d’un personnage, j’essayais de faire passer une émotion, je voyais que Graciela était la plus réceptive. Après elle a développé une autre forme de relation, elle me considérait comme son bébé. Elle m’appelait « mon bébé ». C’était une véritable tendresse, comme si j’étais son fils. Il y avait une honnêteté, une sincérité. Je sais que quand elle venait, elle écoutait et je lui faisais plaisir. C’est assez rare de développer une telle intimité avec une femme, avec qui il n’y a pas d’histoire sentimentale homme-femme. Elle est devenue pratiquement quelqu’un de ma famille. D’ailleurs elle a eu le privilège d’être invitée par Nestor, je voulais lui présenter sa petite fille, et elle était très proche de Myriam aussi. Hervé : Elles parlaient espagnol toutes les deux. Jean-Jacques : C’est vrai qu’on se téléphonait beaucoup, sauf après l’AVC. Là, cela a cassé quelque chose. La seule chose qu’on pouvait faire, c’est quand on se voyait, elle me prenait dans ses bras. En fait on ne pouvait plus se parler, mais on se comprenait en même temps. Avant son AVC, on se téléphonait de temps en temps, cela durait assez longtemps. J’aimais bien, car elle avait du répondant, elle était cultivée, tout de suite il y avait une résonance. Elle sortait vraiment de l’ordinaire. J’ai eu plusieurs coups de foudre dans ma vie mais pas du même ordre. Mais avec elle je pense que c’était partagé. C’est tout. Hervé : Je partage tout à fait ce que tu dis. C’était une femme exceptionnelle. C’est intéressant d’écouter vos témoignages, car cela me permet de la voir autrement, et d’entendre des choses que je ressentais mais que je ne m’étais peut-être pas dit clairement. Elle était toutes ces personnes que vous avez évoquées. Je remarque que chacun la connaissait et la vivait différemment. Elle avait tellement de facettes. Elle faisait connaître une partie d’elle-même aux gens en fonction de leurs affinités, de leurs réceptivités et je vais continuer, à travers vos témoignages, à la connaître. S’il y a une personne que je n’ai jamais complètement cerné, c’est bien elle. Elle était tellement intelligente, elle avait des qualités tellement développées, je le savais, mais je n’ai jamais vraiment chercher à les sonder complètement. Elle avait une intelligence largement au dessus de la moyenne. Mais c’était comme ça, cela me convenait. Cela permet de se reposer sur quelqu’un en qui on peut faire confiance. Jean-Jacques : Je voudrais ajouter quelque chose. J’étais particulièrement heureux de pouvoir faire quelque chose avec elle. C’était pendant la période COVID. A un moment où cela allait mieux, on sortait un peu. en 2021, je crois, je suis allée la chercher chez elle et je l’ai emmené au cinéma. Marie-Christine : C’est ce que je faisais tout le temps. Jean-Jacques : Comme elle avait une grande humanité et humilité, même si le film qu’on allait voir, allait la rendre triste, elle positivait, elle savait changer la tristesse en message. C’était un film de 1987, le fameux « Elephant man » de David Lynch, un film dramatique, très dur. Mais d’une humanité absolument incroyable. Le pauvre monstre que tout le monde rejette. Il y avait très peu de monde au cinéma à cause du COVID. On a enlevé le masque. Et moi je connaissais par cœur le film, je l’avais vu 3 ou 4 fois. Elle n’en a pas perdu une miette. Et elle m’en parlait toujours. A chaque fois, je lui disais : « L’homme éléphant ». C’était un monstre difforme et elle me disait : « il est beau ». Hervé : Je crois qu’elle m’en avait parlé, qu’elle avait vu ce film avec toi. Jean-Jacques : Cela l’a beaucoup marqué. Il y avait de très belles images et David Lynch avait voulu ressusciter l’ambiance du Londres des années 1860. C’était l’époque de Jack l’Eventreur. C’est une époque où Londres était très dangereuse, car avec la grande pauvreté des campagnes, les gens venaient à Londres pour trouver du travail et c’était le début de l’ère industrielle. La Tamise était sale. Il y avait des quartiers très dangereux, car remplis de gens sans travail. Ce Londres des bas fonds a voulu être filmé en noir et blanc, car il n’y avait pas de couleur. Je me suis dit que j’avais mis en plein dans le mille. Cela a exacerbé sa sensibilité. Hervé : Marie-Blanche, veux tu dire quelque chose ? Marie-Blanche : Je l’ai surtout connu par le groupe d’anglais. Après je suis venu quelques fois. Je ne peux pas dire que je la connaissais bien. Hervé : Tu as failli partir en vacances avec elle ? Marie-Blanche : Oui, justement. Elle était toujours très gentille. Il s’agit de conversations ensemble, pas vraiment des cours, avec Elenita. C’est dommage qu’elle n’en fasse plus. Je crois qu’elle a été opérée. Marie-Christine : Je me posais la question en venant justement. Jean-Jacques : Je me souviens qu’Elenita était partie dans les Alpes avec Graciela et Paul Kuentzmann. Et Paul m’avait dit que heureusement Graciela était là, car Elenita était insupportable. J’ai dit à Paul qu’il était insupportable aussi. En fait Graciela jouait le rôle d’intermédiaire. Paul m’en a parlé il y a peu de temps. Marie-Christine : J’ai un mot qui me vient avec ce que tu viens de me dire. Avant l’AVC, elle a eu une intervention, je ne sais plus laquelle, mais elle m’appelait souvent à ce moment-là, car elle était dans une maison médicalisée à la montagne et il n’y avait pas grand-monde. Et cela durait plus d’un mois. Un jour, je lui ai demandé si elle ne s’ennuyait pas. Elle m’a répondu : « Non, je leur ai parlé et je les ai estourbi, donc je ne suis plus seule ». Je trouve qu’elle rayonnait. C’était une femme rayonnante. Jean-Jacques : Le soir où je l’ai rencontré, je voyais qu’on n’était pas de la même génération, mais l’échange qu’on avait tous les deux, faisait que plus aucune personne ne m’intéressait. C’était une découverte réciproque. | |
Participants à la soirée analyse de rêves de mars 2023
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J’ai rencontré Graciela le vendredi 26 septembre 2003 lors du second groupe de travail que son mari animait Maître Georges de Maleville. Cela se passait au 114 rue Michel Ange à Paris. J’étais très impressionnée par toutes ces personnes que je ne connaissais pas et pour m’exprimer. J’étais dans l’inconnu. J’ai beaucoup apprécié Monsieur de Maleville, c’était un homme juste et vrai, son départ m’a beaucoup touché.
*** Après le décès de Georges en 2006, Graciela a repris la suite. J’ai également entrepris avec elle en 2009 un travail analytique tous les quinze jours, le mardi. J’ai participé à SOS psychologue depuis 2007. Graciela m’accompagnait à m’ouvrir à moi-même et aux autres, elle m’a beaucoup donné, elle avait cette force et cette disponibilité incroyables. Je me souviens de nos groupes de travail ésotérique tous les vendredis soir, cela durait de 21h jusqu’à minuit, voire 1h du matin. Elle a toujours été très exigeante avec le travail comme elle l’était avec elle-même. *** Je ne peux pas m’empêcher de repenser à tous ces voyages que nous avons vécus ensemble, c’était des moments privilégiés, j’avais le sentiment de partager des instants de sa vie. Je me souviens de tous ces séjours dans le Périgord où nous allions nous recueillir sur la tombe de Georges à Domme. Il est vrai que j’ai traversé des moments de souffrance mais pas en vain, cela fait partie du travail, nous ne pouvons pas évoluer sans cette souffrance. *** Graciela et Georges étaient des êtres remarquables, unis dans la vie et dans le travail sur soi, à la recherche de l’éveil à une conscience dite « supérieure », un travail long et difficile. Ils nous ont laissé beaucoup de matière pour continuer le chemin magistral de l’éveil à soi-même, un chemin pour l’être qui reconnait la nécessité de se connaître, d’être lui-même et de découvrir par la voie de la conscience le sens même de sa vie. Ce qui est incroyable, c’est que depuis 20 ans, nous ne nous sommes pas quittées. La plus belle reconnaissance que je puisse avoir pour Graciela, c’est de travailler et travailler toujours davantage selon mes possibilités. Elle a influencé ma vie pour toujours.
*** Depuis son départ, nous n’avons rien changé. Chaque vendredi nous faisons le groupe de travail à 21h, tous les quinze jours, le mardi nous faisons notre travail analytique, chaque matin nous consacrons au moins une heure à un travail, chaque soir à tour de rôle, nous lisons le recueil de prières que Graciela a donné à Philippe.
*** Graciela est toujours bien présente en moi, je peux me relier à elle dans le « supérieur », là où il n’y a plus de mensonge, d’hypocrisie, de jugement, seulement l’amour, la vérité et la paix. Quel merveilleux cadeau que j’ai reçu de la vie, de Georges et de Graciela.
Avec tout mon amour,
Fait à Chessy, le dimanche 24 septembre 2023 | |
Claudine Thomas
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